De toute façon cette discussion avait été interrompue par l’appel au repas et n’avait pas eu de fin. Je suppose qu’on la continue encore, et qu’elle n’aura de cesse de revenir sur le tapis, même si on espère la cacher dessous, un jour, définitivement.

— Vous n’avez pas du papier et de quoi écrire s’il vous plait ?, demandé-je aux jeunes qui se trouvent à côté de moi, décidé à consigner ces souvenirs par écrit, pour ne pas les perdre, et peut-être aussi, en les enfermant sur du papier, les sortir de ma tête, afin qu’elle soit prête à accueillir le présent.

Le groupe reste muet, ne sait pas comment réagir, puis une fille se baisse et se redresse quelques secondes plus tard pour me tendre tout cela.

— Merci, beaucoup !

Ma “conversation” s’arrête là. Je ne sais pas les aborder : qu’auraient-ils à me raconter de toute façon ? Entre eux et moi, il n’y a pas qu’une différence d’âge.

Ce n’est pas grave, j’ouvre mon sac et cherche dedans toutes les lettres du peu de personnes qui m’ont écrit ces derniers temps, pour y noter les adresses : des copains d’avant, de la famille, des gens rencontrés à la Santé…

La tête me tourne, me fait encore mal, j’ai chaud et un vague tiraillement au ventre. Je rends le stylo à la fille, me lève pour aller payer, puis m’enfuis jeter ma boulette dans une poubelle : plus de souvenirs, plus les remords incessants, pas de ça.