Mais je me retourne dans mon lit, en arrière, puis en avant, sur le dos, sur le ventre. Et le mal que j’ai fait, et les remords, et les incertitudes du futur, et les cloches de cette église qui sonnent chaque heure et qui viennent me rappeler régulièrement que je ne dors pas… Si je pouvais prendre le temps, revenir en arrière… Je me sens comme décoller de mon enveloppe charnelle, celle-ci tombant dans le puits du passé. Mais ce n’est qu’une illusion, les aiguilles ne reculent jamais. Tout est gravé éternellement dans une fuite certaine en avant. Si seulement ! … Si je pouvais retrouver toutes ces années devant moi, je les referais sans lassitude, avec joie ! Au moins si je pouvais gommer ces années malheureuses, creuser un trou dans ma vie, passer du blanco sur les lignes noires de ma vie, comme une alcôve de mystère au milieu d’une suite compréhensible de faits, une incohérence troublante mise sur le compte du surnaturel, même en garder les conséquences maintenant et demain, juste oublier pour que demain soit le quai d’un nouveau départ. Je voudrais bien même subir une peine “à vide”, sans savoir pourquoi… mais c’est absurde puisque la tristesse des autres cependant resterait et ce serait me défausser face à celle-ci. Alors tout recommencer à zéro, revenir au début, laisser inachevé ce premier essai de vie. Si au moins nous avions plusieurs chances, si je renaissais sans réminiscence ; non c’est fortement improbable, complètement impossible, je ne reviendrai pas, tant pis, la vie sans moi peut…

Alors il ne resterait qu’à mourir, cela est si vite fait, pourquoi mon cœur bat-il si vite ? Pourquoi vouloir encore poursuivre ? Pourquoi cet entêtement ? Si simple et si dur à la fois. C’est ma seule maîtrise complète de l’histoire, le temps réduit à néant, tout disparaît, la faute, le mal, l’avenir, tout n’est plus qu’un néant sans aucun jugement, sans aucune pensée, le silence voilà tout, le silence enfin, quelle vanité que toute cette vie, pourquoi ne puis-je me résigner à la quitter ? Pourquoi, quelle force, quelle attraction, sont-ce les chrysanthèmes ? Ils n’existeront pas pour moi, même en idée. Est-ce l’espoir : poison ou foison de possibles à moissonner un jour ? Est-ce la peur : de quoi ? Est-ce la fidélité à une résolution idiote qui m’a fait tenir 13 ans en tout malgré toutes les raisons d’en finir ? Je suis resté longtemps à tenter de trouver une raison suffisante qui justifierait tout, mais mes forces faiblissaient, mes pensées s’assombrissaient en entrant peu à peu dans le sommeil, je concluais dans un dernier sursaut de lucidité, à la limite du gouffre, que même devant cette impasse, une chose était sûre : il resterait toujours une issue quelque part, même un mince trou dans le mur où se nicher, une seule fois mais la bonne, un joker dont la propriété serait d’interrompre sur-le-champ la partie et d’en commencer une autre. Je me réjouis en m’endormant de cette option à ma disposition, même sans bien sérieusement y croire… Sans la connaître.

Je me réveille un peu plus tard, seulement une heure, certainement cette journée n’est pas achevée, il reste une chose à accomplir pour gagner le sommeil réparateur. Au fond de moi-même je le sais, il suffit de la rechercher honnêtement et de l’étudier à la lumière. Quand même, il faut bien prendre une décision… Demain j’irai voir ma famille ! Mais seulement si ma sœur cadette y est. Sinon je la verrai seule. Allez, je suis d’accord, il faut que je dorme, une décision c’est une libération, un accord avec le sommeil. Le voilà bien mérité maintenant, mes paupières lourdes en témoignent, arrêtons donc cette journée.