Il faudrait presque une ode à ma sœur, pour elle seule. Je la revois. Je lui demande de ne plus m’apporter de nourriture, car celle-ci me cause des problèmes. Je lui fais croire que les surveillants nous le prennent pour le manger eux-mêmes. Elle s’indigne. Je veux juste lui cacher qu’avec ce butin ma vie devient un enfer. Je dois faire attention de ne pas me le faire voler. Et si ça arrive il faut que je me batte, car sinon je passe pour une lopette, et qui sait jusqu’où cela peut aller ? Je ne veux pas avoir à défendre la virginité de mes fesses parce qu’on croit que je suis une femme… Je veux pouvoir dormir tranquille sans rien craindre de mes codétenus, ne pas subir leurs quémandages auxquels je peux difficilement dire non… Et que c’est compliqué de tenter de parler du quotidien de la prison à sa sœur qu’on sait si sensible, lui en faire comprendre les pièges et les dangers sans lui en dire beaucoup pour ne pas l’inquiéter. J’essaye de ne lui parler que de l’ennui. Elle doit s’imaginer que je suis une sorte de Giovanni Drogo attendant vaillamment un improbable ennemi. Je suis surtout une bête traquée qui essaye de passer un champ de pièges dont elle ne voit pas le bout…

Je recommande à ma sœur de s’habiller plus la prochaine qu’elle me rendra visite au parloir, prétextant que cela pourrait être dangereux pour elle… C’est surtout dangereux pour ma santé mentale. Je n’ai jamais réussi à me laisser aller à l’homosexualité et les femmes me manquent atrocement, alors le moindre début de décolleté me rend fou. Tressaillir à celui de ma propre sœur me rend malade, quelle espèce de monstre deviens-je ? Je ne peux même pas lui demander si des amies à elle ne voudraient pas me voir de temps en temps pour que je puisse avoir de ces relations furtives et honteuses au parloir, bien que cela soit officiellement interdit ? N’ai-je pas déjà ruiné une partie de la vie de ma sœur pour ne pas lui suggérer encore de devenir une sorte de maquerelle ? Et pourtant comme j’aimerais ne plus rien ressentir, n’être qu’une pierre froide alors que le désir est un sentiment si beau, qui pousse les êtres les uns vers les autres, unit les gens, et voilà qu’il me brise et me déchire…