25 mars 1972 : j’ai entre les mains La Cause du peuple – J’accuse n°21, où la Nouvelle Résistance Populaire [N.R.P.] explique l’enlèvement de Robert Nogrette. Je suis assez d’accord avec les analyses venues de tous les côtés, autant des réactionnaires que des soi-disant communistes « révisos » : le geste n’a servi à rien et a fait perdre beaucoup d’appuis et de crédibilité aux maoïstes, désormais bien isolés après ce geste dangereux, vain et imbécile.

Je suis aussi au milieu des camarades, dans un local secret tapissé d’affiches militantes, rempli de tracts et de numéros de notre journal. On discute. On refait le monde. On le commente, du moins. Marx serait fâché de nous voir ainsi dans la théorie philosophique et loin de la praxis. Mao aurait-il plus de raison d’être fier de nous ?

— Saletés de communistes !, s’écrie un camarade à côté de moi. Les « gauchistes » vont leur en foutre plein la gueule à ces complices de la réaction !

— « Marchais1, complice des assassins ! », reprend un autre en rigolant, sous les regards approbateurs des autres camarades présents, qui manifestent par leurs petits airs entendus qu’ils faisaient partie de ceux qui ont scandé ce slogan pendant la manifestation du 4 [mars].

— Vous voyez bien que nous sommes coincés avec la violence : nous n’acceptons pas ce qu’a fait la N.R.P. et nous ne pouvons pas pour autant nous désolidariser. Nous sommes donc spectateurs et commentateurs d’une action politique qui nous échappe, tenté-je cependant de leur rappeler, tout en expirant ma fumée de cigarette, espérant sans doute naïvement qu’en entrant dans leurs narines, elle soit comme un cheval de Troie venu distiller ses lumières en eux…

Tous les regards se sont portés vers moi. Je perçois de l’étonnement dans la pupille de certains, désarçonnés que je m’essaye à l’analyse politique, moi qu’on imaginait sans doute un peu rapidement le prisonnier revanchard bon pour la castagne contre les fachos et les cognes. Pourtant j’ai beau être assez grand, je n’ai pas vraiment de quoi tenir un seul round contre Marcel Cerdan dans un débat musclé. N’ai-je pas le droit de singer les intellectuels faiblichons ?

— Je te rappelle que nous ne soutenons pas, uniquement pour des raisons tactiques. Ce qu’ils ont fait n’a pas été réalisé dans un temps opportun, mais sur le fond…

— N’empêche que nous ne soutenons pas, terminé-je dans un sourire malicieux.

Note

  1. Georges Marchais est secrétaire général adjoint du P.C.F. depuis 1970, l’état de santé de Waldeck Rochet ne lui permettant plus d’assurer ses responsabilités. De fait, c’est lui qui prend progressivement les rênes du Parti.