Effectivement, me voilà respirant. Personne ne me regarde, je suis un homme de plus pour eux, mais moi, mon regard les boit tous les uns après les autres. Il y a si longtemps que je n’ai pas vu d’hommes libres autrement que dans un parloir ! Je dévisage notamment Marcel, le patron, que je vois pour la première fois après en avoir tant entendu parler. Il discute avec les clients, bruyamment, tentant d’apporter un peu de bonne humeur et de joie dans un lieu où se reflètent l’ombre triste de la détention et le sombre des visages des proches qui viennent y voir les détenus. Depuis trente ans qu’il dirige cet établissement juste en face de la maison d’arrêt, il est devenu une légende de celle-ci, et j’aimerais lui dire merci avant de partir. Sans oser. Suis-je le même homme une fois dehors ? Se souviendra-t-il de moi qui y étais un parmi tant d’autres ? Faut-il encore que je m’adresse à lui comme un détenu ? Je décide : je le remercierai s’il me reconnaît. (Ce qui est impossible puisqu’il ne m’a jamais vu…)

Je commande mon café sans un autre mot et rive mon attention dans Le Monde que je viens de prendre, lorsque j’aperçois à la une la fin heureuse de cet enlèvement d’un employé de Renault, M. Nogrette – pas n’importe quel employé puisque c’est lui qui est chargé d’annoncer les licenciements. L’enlèvement avait été perpétré par un commando maoïste – des amis à moi peut-être – en représailles à l’assassinat de Pierre Overney. J’en saurai plus, bientôt. Sans doute.