J’ai décidé qu’il était désormais trop tard. Celui qui voulait ma peau a eu sa chance ; maintenant j’ai la mienne : j’ai 33 ans, la vengeance vient de rater une occasion de s’exercer et je décide que la vie commence pour moi.

« Oui je sais, elle est moche cette liberté, mais tu vas voir c’est complètement différent. Et puis celle-là, toute de grisaille, n’est que provisoire. Peut-être qu’elle sera bleue demain avec un soleil au milieu qui l’éclairera, qui ne sera plus striée par des barreaux, un immense ciel bleu jusqu’à se mêler à l’horizon, débordant largement du cadre de la fenêtre en une belle toile lumineuse. Regarde au moins ! Et respire. » – A qui ai-je parlé ? A celui que j’ai été ? Aux rats qui furent mes interlocuteurs involontaires et muets durant ces années ?

Je fais le tour du bâtiment sale où j’ai passé tous ces jours et ces nuits sans jamais pouvoir le voir sous cet angle-là, au pied de cette muraille grise-brune à la hauteur écrasante, dans un long soupir, comme l’adieu de deux personnes tristes de s’être rencontrées dans une situation fâcheuse et qui se séparent sans avoir eu l’occasion de s’apprécier.