Pierre, le plus âgé des deux, prie d’un rapide geste de la main les spectateurs matinaux de s’en aller, de retourner à leur routine mais les gens ont tellement à gagner qu’ils restent : ils chargent leurs munitions de paroles, qu’ils déchargeront dans la journée en commentaires idiots et infondés, sur un fait qu’ils ne peuvent comprendre.

Alors les deux êtres reprennent leur raison, ils se séparent. Ils n’osent plus se regarder, on dirait qu’ils ont honte de s’être perdus dans les détours de cette étreinte, qu’ils auraient presque préféré en finir dans le sang.

— Je ne suis pas… (la tête basse, fixée sur un détail du pavé, d’une voix basse comme pour lui-même.)

— Je le sais bien (d’une voix doucereuse en regardant fermement son interlocuteur). Venez !

Et ils s’extirpent de leur arène humaine sous les huées silencieuses des regards déçus, déjà les premiers commentaires des passants qui se sentent volés de la fin spectaculaire qui leur semblait assurée. Non, Messieurs, ce n’est ni ici ni maintenant que vous serez les grands témoins de l’extraordinaire, qui aurait fait de vous les vedettes d’un jour. Vous ne venez d’assister qu’à une banale mais néanmoins mystérieuse, altercation entre deux simples hommes ; circulez il n’y a rien à raconter…