Monsieur D… non tu ne peux pas mettre le nom de famille, ce serait d’une glaçant administratif !

Bonjour, Monsieur, tout simplement, ne cherche pas l’effet, au fait, sois court…

Je ne sais pas si cela se fait… (faut-il se contenter de ce qui se fait ? Bien sûr que non, sinon nous n’aurions que des vies de banquier dépressif, le monde ne serait qu’un grand mouroir où les Philistins attendent gentiment un Autre monde meilleur), ce n’est pas facile de vous écrire, non, ce n’est pas facile. Il faut que je trouve les mots justes, les meilleurs, jute ceux qu’il faut et que j’écrive cette lettre d’une seule impulsion puis que je l’envoie, sans m’arrêter ni me relire partir la poster, un unique courage pour ne pas reculer. Entendre la lettre tomber dans la boite et. On verra. L’avoir fait. Se sentir plus léger après ?

Vous pouvez imaginer combien est dur… je ne vais pas me plaindre quand même ?

la force qu’il me faut … ô grand Atlas qui tient le monde, regardez-moi ce héros : n’importe quoi !

ce que me coûte… allez, après tout, il a sorti de l’argent mais payer peut se faire autrement que par l’argent

le fait de vous écrire, tant j’ai honte de m’adresser à vous. Je… Non, pas deux ‘je’ en deux phrases. Parle de lui, pas de toi. Il est juste ta victime, tu es coupable et victime : il a ça en moins, c’est à lui que tu dois penser.

J’imagine aussi la difficulté que vous avez à me lire, et (là encore trouve une formule solennelle mais pas administratif. Il y a un rapport humain, qui est… recréé sur d’autres bases… créé peut-être tout simplement… on n’est pas dans la mise en relation désincarnée, de ceux qui se croisent dans la rue ou comme deux numéros Carmille recensés en secret par l’administration pour nous contrôler un jour lorsque les fascistes seront au pouvoir, ici… on est bien au dessus de l’administration…) je vous prierais de bien vouloir m’excuser (oui !) de

me réinviter / refaire surface / revenir / réapparaitre / être de retour

dans votre vie. Je serai bref (cassant). Je serai rapide (ça sonne comme un “Merci, Monsieur, mais je n’ai pas trop le temps”… non, non, je ne veux pas vous embêter mais le temps je vous l’accorde, je vous dois bien plus…) tâcherai de ne pas m’étendre trop longuement.

Pourtant je pensais (J’en suis presque sûr, mais au fond je dois garder le doute en suspens) que votre adresse inscrite au dos de l’enveloppe que vous m’aviez donnée cet étrange jour, et dont j’ai tenu à vous restituer la totalité de l’argent qu’elle contenait (Quelle étrange façon de me donner de l’argent, comme pour m’imposer une nouvelle dette, d’une autre nature, pécuniaire, palpable, et quoi ? Me laisser liquider cette dette et éponger toutes celles que je ne pourrai jamais rembourser par la même occasion. Me laisser jeter le bébé en mettant de l’eau dans le bain, en quelque sorte ? Pourquoi cet argent ?), constituait un signe indiquant que je pouvais le faire.

Je me suis donc permis cette liberté qui m’est sûrement aussi pénible qu’elle peut vous l’être. A vrai dire je me sentais presque obligé. (Vous m’y poussez n’est-ce pas ? Ou est-ce moi qui m’invente des histoires ? A quoi jouez-vous ?) Au pire, je sais que vous déchirerez cette lettre, et sans réponse de votre part je vous promets de ne jamais plus vous déranger.

Il y avait cet argent à vous rendre, qui me brûle les doigts et m’enfonce comme un poignard dans le cœur, celui avec lequel je n’ai jamais osé m’ôter la vie, ce qui n’est pas faute pourtant d’y avoir pensé dans des moments d’errance. Faut-il que je mentionne ces hésitations pour donner un gage de ma bonne volonté, de mon remords profond, est-ce que je dois donner ces preuves, faire cet aveu, lui laisser savourer un peu de ma peine ? Je ne comprends pas votre geste, aussi singulier que nous nous battions ne serait-ce qu’une demi-heure plus tôt.

En espérant ne pas vous avoir importuné par mon entreprise.

Cordialement,

Mettre mon nom… froideur miroir de mettre le sien. Le juge nous appelait comme ceci, nous ne sommes plus dans les mains de la justice, mais… les nôtres ? Dans ma main qui se tend vers la mienne en appel, attendant sa main en réponse ?

Votre… votre quoi ? Votre « pire cauchemar » ? Prétentieux et théâtral. ……. Aucun complément à « votre ». Celui qui ? Un votre bis.

Pourquoi se qualifier. « Je vous reconnais coupable »… et si je le laissais, lui, me qualifier ? Si je le laissais, lui, me donner une qualification et que je l’acceptais.

Ne rien mettre, pas de signature, je ne suis plus rien, je n’ai pas de nom, c’est à lui de me le redonner.