Plus tard, je me levai dans d’autres dispositions : il avait avoué sa faute, et, même vaguement, il avait fait une démarche que je savais très difficile et devant même relever d’un effort considérable. Il avait avoué en lui-même. L’essentiel était là. Une minuscule brèche se laissait deviner confusément dans le rempart de mon amertume. Mais il n’y avait rien de plus. Pas d’autres nouvelles. Non, j’aurais plutôt voulu le voir se traîner à mes pieds et m’implorer grâce. Quel plaisir alors de le voir étaler sa misère et s’en recouvrir, et s’en étouffer, quel apaisement ! Tout d’abord, je crois que je l’aurais tué à la première occasion, ou du moins aurais-je fait exécuter ma vengeance par d’autres : il ne s’agit pas de se salir les mains mais de faire taire la rancune dans l’idée même d’une égalité enfin acquise.
Puis ce qui m’avait paru premièrement comme du culot, réveillant en moi des relents de haine mal contenue et mal assumée, me sembla alors d’un juste repentir. Oui, à la réflexion, mon cauchemar avait eu l’honnêteté de reconnaître ses torts, quand d’autres se nourrissant des discours disculpabilisateurs des avocats, se forgent des justifications prêtes à l’emploi, là où il ne peut y en avoir, là où aucun déterminisme ne peut être évoqué, là où il n’y a aucune excuse possible. Le loup retrouvait un agneau en lui. J’eus soudain cette envie bizarre, et qui me semblait alors malsaine, de le prendre dans mes bras et de pleurer avec lui mon insouciance perdue. Pourtant, sans cesse, je ne pouvais m’empêcher de songer à son sang comme placebo expiateur. J’attendais de lui son sacrifice sur l’autel de ma tristesse. Devant mes contradictions, symptômes de mon trouble profond, entre le fatalisme et ce besoin de dédommagement impossible, je repris cette vie de routine “débordée” qui me protégeait, ne me laissant penser à rien de passé, entièrement tournée vers le présent immédiat… ou un rien vers l’avant.