1.1. Effectivement, l’ambassade est pleine de monde, qui vit je ne sais comment, …
— Juan, évidemment ! Jean est en prison et le narrateur s’est tiré qui voulez-vous que ça soit ? Merde à la longue !! Faites chier avec vos contrôles d’identité !!!
… entassés dans des chambres qui étaient il y a peu encore des bureaux. Dans l’un des derniers qui reste, Pierre de Menthon me fait face, debout devant la fenêtre, à regarder cette cour faite pour les réceptions et qui est devenue désormais la cantine d’un camp de réfugiés, remplie de jeunes hommes aux cheveux et barbes fraîchement coupés, qui eux-mêmes regardent la rue dehors et se sentent en sécurité, alors que de l’autre côté de la grille, protégée par des militaires, ils risqueraient leur vie.
1.2. — Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez, Monsieur ?
— Je sais très bien ce que je vous demande, Monsieur : de sauver une victime de plus.
— Non, non, non. J’ai ici des centaines de candidats à l’exil, de vraies victimes qui risquent leur vie, et je devrais perdre une place pour un tortionnaire repenti ?
— Ah parce qu’il faut avoir sa carte du Parti pour être une vraie victime ! Après avoir été les vrais libérateurs du pays, seuls les marxistes seraient les vraies victimes du nouveau régime ?
— Il me semble que vous étiez assez proche des gens qui sont aujourd’hui au pouvoir, non ?
— Ce n’est pas si simple, Monsieur.
1.3. — Il me semble même vous savoir assez peu patriote, si je ne me trompe. N’est-ce pas vous qui avez répondu à l’invitation de l’ambassade, pour la fête du 14 juillet, que…
— … que cette commémoration doit être universelle et non pas seulement d’un nationalisme frelaté, et qu’il fallait aussi se rappeler que c’est toujours Robespierre qui termine les révolutions…
— Et tout d’un coup vous vous souvenez de la France ?
— Ce n’est pas pour moi.
— Mais quand même… Je ne veux pas être mesquin, ni vous paraître « revanchard » mais vous comprenez que j’aie des priorités dans les gens que nous essayons de faire sortir.
1.4. J’aperçois tout d’un coup Pierre Kalfon que je n’avais pas vu jusqu’ici et qui me regarde avec dureté. Je sens la partie perdue, je ne réussirai pas à faire sortir mon ancien élève par la France. Je peux comprendre l’ambassadeur de France à Santiago, c’est un homme que j’ai toujours respecté bien que l’idée de nation nous sépare, mais perdu pour perdu autant dire ses quatre vérités à monsieur le pseudo-journaliste qui a vendu sa vision d’extrême-gauche à la France, via Le Monde, pendant ces dernières années :
— Oh toi, ta gueule, hein !
— Je n’ai rien dit, je te signale !
1.5. — Mais ça dégouline de ton regard. Oui, j’ai une vraie victime à faire sortir, qui risque sa vie, qui souffre, qui… et pourquoi vous n’êtes pas en train de vous battre, vous autres ? Ils sont où les guerriers qui voulaient prendre les armes et faire passer les bourgeois pas la potence ! Il est où Garretón après ses grandes déclarations ? Il est où Altamirano le guerrier belliqueux ? Et tes petits copains du MIR dont tu as inlassablement relayé les analyses dans tes articles de propagande, en train de se terrer comme des couards dans leur cave à se pisser dessus ?
— Mais tu es malade, toi !
1.6. — Toute cette situation est votre faute, les gars ! De votre puérilité ! De vos délires ! Le pseudo-peuple que vous ne représentez qu’à moitié, et aujourd’hui vaincu, n’a jamais été uni ! Vous n’avez été que des guignols ! Des histrions ! Des boy-scouts ! Des révolutionnaires d’opérette ! Même Castro, Staline et Mao doivent vous mépriser désormais ! Si au moins vous étiez allés au bout de votre folie de manière conséquente, à mourir arme en main !
— Vous perdez la tête, Monsieur — me dit Sophie de Menthon, la femme de l’ambassadeur, qui a été attirée par le scandale que je commence à faire.
1.7. — Non, malheureusement, Monsieur Kalfon l’a toujours sur ses épaules, sa tête. Robespierre a au moins eu le bon goût de passer lui aussi à la guillotine pour qui il avait tant fait. Vous allez vous en sortir, vous, et c’est bien triste : les gens comme vous méritent les camps de concentration que les régimes mortifères qu’ils appellent de leur vœux finissent toujours par créer !
— D’accord, Monsieur, pouvons-nous désormais parler entre gens raisonnables ? J’ai besoin de parler à Monsieur de Menthon et n’ai pas le temps pour votre bile d’homme malade. Vous feriez mieux de rentrer chez vous !
Je dois lui laisser le dernier mot à Kalfon, je suis vaincu, il me faut désormais trouver une solution ailleurs.