Don Juan vous tire votre propre langue

Le (Dom) Juan de David Bobée1, dans la mise en scène du Dom Juan de Molière (ou de Pierre Corneille ?), ressemble à son époque.

Il est instable, nerveux, capricieux, colérique, on l’imagine avoir passé sa jeunesse à regarder Netflix et des films pornographiques, édulécœuré dans un enseignement scolaire où on l’a chouchouté et biberonné aux Droits du dégénéré et des licornes, entouré de femmes dépassés et de mâles démissionnaires. Plutôt que grand d’Espagne, il serait aujourd’hui, plutôt qu’un footballeur pas assez instruit ayant reçu trop vite beaucoup trop d’argent, ou un acteur de Télé-réalité impulsif et outrancier pour faire le show et continuer à vendre sa personne comme produit, peut-être surtout un rockeur habitué à jouer ses concerts devant 80 000 personnes, à prendre des drogues de plus en plus fortes, aux partouzes avec des femmes sublimes, à s’acheter des yachts comme on fait les courses et qui détruit sa chambre d’hôtel pour qu’il se passe quelque chose de plus dans sa vie avant qu’il n’ose le suicide2 pour voir s’il y a mieux encore plus haut que tous ces plats sommets.

En effet, Bobée a beau écrire qu’il a « réalisé que chaque scène qui compose cette pièce représente quelque chose contre lequel [il] lutte depuis toujours[, puisque] Dom Juan est tour à tour classiste, sexiste, dominant », il a beau se demander s’« il [faut] déboulonner les statues dont les histoires nous encombrent », s’il faut « réécrire les textes du répertoire, ou décider de ne plus les monter »3, il s’avère que ce Don Juan a le reflet d’un miroir de notre époque, et que le bienpensant4 s’y retrouve quoi qu’il fasse. Ce sale petit con, même un peu pédé, n’est qu’une petite crotte plus reluisante que les autres surnageant dans la grande purge anthropologique d’aujourd’hui. Comme de hier, mais en plus spectaculaire depuis l’électricité.

L’acteur, Radouan Leflahi, musclé, imberbe5, très bon, chauve et au visage reptilien, passe ainsi deux heures à sauter partout, se moquer, glisser, avoir envie de se suicider et crier, beaucoup, un peu trop. Mais s’il hurle sur les hommes, il appelle au fond de lui la figure du Père – celle qu’on lui refuse dans la pièce en faisant de Dom Louis une grosse armoire à glace venue jouer les bigotes sans noblesse –, celle qui surplombe ce monde social navrant…

Il a beau le détester, ce bon vieux Juan, le tuer c’est aujourd’hui se suicider à moitié.

Don Juan 2023 est universel et intemporel (mais méchant donc blanc)

Eponge de son temps, grand rebelle produit en série par l’époque, Bobbée a replacé Don Juan dans la mondialisation, quelque chose entre la fin XIXème siècle et le début du XXIème, où la cape et l’épée côtoient le pistolet, un peu partout et le nulle part de l’ouverture sans limite, disons pour être gentils, dans l’universel (un peu situé tout de même). Ainsi Sganarelle est un noir, qui commence par chanter dans un langage africain, et qu’on imagine engagé quand le grand d’une Espagne sans frontières visitait une colonie noire africaine. Pierrot et Charlotte deviennent des Chinois que Don Juan va sans doute draguer en s’échouant en Cochinchine.

Après l’Europe diluée dans le grand n’importe quoi, les genres n’existent plus : Don Juan promet le mariage à Pierrot comme à Charlotte6, il embrasse M. Dimanche et lui touche les attributs masculins, un frère d’Elvire est une femme. Surtout, son père est donc devenu sa mère, et au lieu de recevoir une raclée virile, pour un duel féroce, voilà – avec le même texte – la femelle qui psychologise et le jeune homme qui se comporte en petit con ; ça manque de grandeur.

La couleur de peau n’existe plus non plus : Elvire, blanchissime, a un frère bien noir. Comme l’est Gusman, l’écuyer d’Elvire, noir ébène comme un Espagnol du XVIème siècle, évidemment.

Bref, on est dans le monde Benetton de la société ouverte sorosienne et le grand mélange de la société du spectacle. Ce serait subversif si ce n’avait pas été fait d’innombrables fois, et c’est même plutôt intéressant. Ça parle même au-delà des intentions des théâtreux de talent. Ça fait planer le rire de Molière/Corneille sur les agitations de Bobé, comme Juan se rit de Corneille/Molière7 lui-même. Il y a de la moquerie en mise en abime, c’est plutôt cool au corps défendant de l’intention (un corps glabre et pornographisable, évidemment).

Mais Don Juan reste un mâle blanc – ce qu’on peut interpréter de deux façons.

Ou bien il fallait que le mal soit incarné par le mâle, le patriarcat colonial, raciste et occidental, ce qui nous donne une subversion lâche et facile8, qui génère du racisme sans s’en apercevoir : puisque le blanc métaphysique et frondeur fait alors le pendant au nègre stupide et incapable d’atteindre la philosophie, là où Sganarelle blanc était juste un sot comme tous les êtres humains que Juan doit supporter. Avec ce côté « Yabon Banania », on “cancelera” l’adaptation dans cinq ans, puisque la bienpensance luciferienne finit toujours par mettre les têtes de ses amis de hier sous la guillotine…

Ou bien il faut comprendre que celui qui peut s’attaquer à Dieu reste le mâle blanc d’un certain âge, seul à pouvoir atteindre pleinement le questionnement métaphysique et théologique pendant que ses contemporains, femmes, noirs, asiatiques, banquiers libéraux blancs, ne sont que des êtres stupides (dont il est un devoir de se moquer) et bas. Dans cette version, comme dans celle de Molière, Dom Juan est un penseur proche d’Emil Cioran ou de La Rochefoucauld, un moraliste qui se moque des uns et des autres par dégoût, qui adhère à une sorte de rédemption par le mal pour avoir l’occasion de tenter Dieu, de le faire venir ne serait-ce que pour une bonne fessée méritée, une bonne bagarre au milieu de cette mièvrerie collante et de discuter avec Lui, tant les êtres humains sont inintéressants, les pages des crétins, les femmes et les banquiers des putes, les Eglises incapables de comprendre l’esprit de la lettre.

Mais ceci, David Bbobée semble ne pas l’avoir compris, enfant de son temps qui ne sait plus ce qu’est le divin et qui croit que la transgression c’est continuer à se moquer d’une Eglise aujourd’hui à terre, comme les professeurs de l’Education Nationale – ces inénarrables cons – continuent à vous expliquer qu’il fallait s’opposer aux Nazis quand se sont fait enfermer par le guichetier de banque de province Castex et museler par le bonimenteur de foire du cochon Véran. Dans un monde saturé de cul, de cul, de cul et ou pourtant s’instaurent les plus oppressants des puritanismes, la répression technologique, l’époque crève du consentement et de l’autorisation préfectorale ; soucieux de donner des gages, – « mes gages, mes gages !» – aux gonzesses bigotes de l’Église féministe, de surenchérir dans l’antiracisme fasciste qui vous scrute le cerveau à l’IA inquisitrice pour savoir ce que vous pourriez éventuellement penser de déplacé, qui a besoin de stroboscopes pour qu’on ne baille pas (mais on ne baille jamais à Corneille !!!), Bobbé ne regarde que les regards et les fades cuculs humains. Ou qu’il n’en comprend plus rien, obnubilé de nombrils, et qu’il n’ait pas vu la dimension théologique de la pièce, ou qu’en Sganarelle actuel il ait eu la trouille, Bobbé a évacué Dieu de son adaptation de la pièce. Si on ne va pas sonder les reins et les cœurs, on va appliquer le principe de charité et prêter de l’intelligence au metteur en scène, et que donc que Bobéee a eu la trouille de Dieu ou qu’il l’a défié dans un geste là encore donjuanesque (on vous a dit qu’il lui colle à la peau) de le nier ostensiblement, il l’a mis paradoxalement sur un grand piédestal qui surplombe toutes ces statues détruites qui emplissent l’espace scénique. Car

un Dieu hante le spectre de la pièce spect(r)aculaire…

Il a donc fallu que Don Juan soit tué par un spectre incarné par une femme, la même actrice qui joue Charlotte (avec le même costume et la même danse de sorte qu’on confonde une apparition surnaturelle avec une simple petite femme trahie, violée et vengeresse, tué au pistolet pour quelque chose qui ressemble à un drame passionnel au lieu d’être entrainé aux Enfers par la figure du Père, même si c’est celui d’Elvire, au moins une figure masculine, qui mène vers un principe qui fait peur et renvoie à sa propre petitesse.

Et pourtant tout est dit dès le tout début :

DON JUAN.
Va, va, c’est une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble, sans que tu t’en mettes en peine.

Acte 1, sc. II

Juan va humilier les humains pour appeler Dieu à son repas, seul avec qui il veut dîner, au fond.

Derrière tout cela, ce qu’essaye d’évacuer Davide Bobbé avec un peu de maladresse, derrière des interrogations purement humaines, se dépatouillant avec l’Église de son temps, celles des dégénérés, des écolos-veganos-debilos fragiles, des utérotarées et de l’ingénierie sociale sorosienne (dégenre Black Lives Matter) ou du néo-maoïsme réchauffiste, woke, toute cet amas de crétins infâmes qui ont des haleines chargés de décennies, sombres copies des années 1970, voire de siècles sombres décalques inversés des bigots du XVIIème siècle, d’une Eglise à l’Autre, des faux apôtres de Dieu à ceux de Lucifer, c’est Dieu. Mais Dieu est là qui ne se donne plus la peine de répondre à Don Juan, Dieu est là qui ne vient même plus dans le monde mais attendra Juan après son meurtre, laissant Sganarelle pleurer ses gages. Don Juan est alors, et Divade Bobette y était presque, une sorte de Jésus9 / anti-Jésus, révélateur des hypocrisies et de la bassesse humaine, une sorte de Judas qui veut tenter Dieu pour qu’il se révèle, un grand moraliste au fond qui salit le profane pour espérer le châtiment, que le sacré advienne dans la parousie au milieu de tous ces cons, les confinés, les masqués, les injectés et rats de laboratoires de Pfizer/Moderna, ces mêmes idiots qui prennent plaisir au spectacle, prennent des photos, apprécient d’y rire mais n’ont pas compris que Don Juan les a insultés, a pris la main de la jeune fille qu’il a réussit à séduire en trente secondes parce qu’il est sur la scène et acteur, ces porcs ridicules qui rient à pleines dents reblanchies, bref.

Et derrière tout cela il y a Dieu, qui s’est fait Homme pour laver les péchés de l’humanité, cet homme que Juan cherche et dont il se ferait bien l’apôtre si l’Église n’était pas elle-aussi trop ridicule, Dieu qui t’aime, Dieu qui t’aime, Dieu qui t’aime (même si tu n’y crois pas et que tu erres sur le monde sans trop savoir pourquoi), Dieu qui t’aime, Dieu qui t’aime, Dieu qui t’aime (ça te fait chier, hein?). Jésus est le seul punk qu’ait porté la Terre, et Don Juan ne pouvait suivre que Lui, s’il n’est pas déjà à sa façon un apôtre.

Au fond, c’est

DON JUAN.
…c’est toujours une affaire entre le Ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble, sans que toi imbécile Sganarelle du XXIème siècle t’en mettes en peine

Acte 1, sc. II bis repetita – qu’est-ce que tu n’avais pas compris ?

auquel ce dernier vous convie en exhibitionniste, comme dans une télé-réalité où des inutiles avachis regardent passivement la vie des autres, ou comme on regarde d’autres faire l’amour dans un filme pornographique, summum de l’humiliation.

Mais Corneille est plus fort que Bobi Baba Bobeuh.

L’esprit de Don Juan est plus fort que Corneille, qui lui a survécu dans les textes de bien d’autres d’auteurs.

Don Juan est plus fort que les sociétés qu’il raille pareillement et plus solide que les Eglises qu’il choque.

Mais
Dieu
est plus fort que Don Juan.

(Après l’histoire d’un querelleur – on finit par se quereller avec Dieu quand on en a marre de la petitesse des humains – la fin de la pièce c’est l’histoire d’un type qui veut manger tranquillement et qui se fait interrompre tout le temps par les crétins qu’il a eu raison d’humilier. Alors qu’il a faim de Dieu et ne désire rien d’autre que l’eucharistie.

On chuchote que le repas que Juan souhaitait au fond de lui, c’est manger le corps du Christ, et qu’il s’est converti comme l’un des deux larrons, à la toute fin, et a pris l’hostie.)

(On chuchote aussi qu’il est revenu aujourd’hui défendre l’Église catholique et chante avec les traditionalistes, la messe de son époque…)

Notes

  1. On va écrire son nom comme on veut. On s’en fout, c’est un type (assez doué mais) écrit par son temps.
  2. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un commandeur qui vient le chercher
  3. Note d’intention du metteur en scène.
  4. Tu sais, ce ramassis d’imbéciles qui écrivent à la chaine « masculinité toxique » ou en langage inclusif destructurant.
  5. Comme tous les acteurs masculins, hormis le gros M. Dimanche ou le pauvre (joué par le même acteur), musclés et imberbes, qui pourraient venir d’un film pornographique ou d’un défilé de mode, donc totalement homosexuel.
  6. Du coup pour introduire l’homosexualité, on a viré une femme, ce n’est pas très féministe !
  7. Sans doute de Corneille, soyons sérieux deux minutes.
  8. Un méchant noir et homosexuel ou bisexuel, en 2023, ça ça pourrait être un peu novateur…
  9. Deux, trois fois il suffirait que le personnage lève les bras en croix pour qu’on le comprenne, mais il manque le petit geste…