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Víctor Jara (de son nom complet, Víctor Lidio Jara Martínez), né à San Ignacio, (région du Biobío), le 28 septembre 1932 et décédé à Santiago, 16 septembre 1973, était un chanteur auteur-compositeur-interprète populaire chilien.
Membre du Parti communiste chilien, il fut l’un des principaux soutiens de l’Unité Populaire et du président Salvador Allende. Ses chansons critiquent la bourgeoisie chilienne (“Las Casitas del Barrio Alto”, “Ni Chicha Ni Limona”), contestent la guerre du Viêt Nam (“El Derecho de Vivir en Paz), rendent hommage aux grandes figures révolutionnaires latino-américaines (“Corrido De Pancho Villa”, “Camilo Torres”, “Zamba del Che”), mais aussi au peuple et à l’amour (“Vientos del pueblo”, “Te recuerdo Amanda”).
Une jeunesse chilienne
Víctor Jara est né d’un couple de paysans modestes, installés non loin de la capitale chilienne. Il semble que sa mère était elle-même chanteuse à ses heures, ce qui a pu inspirer le jeune Víctor, auquel elle apprit les rudiments de la guitare. Ses connaissances musicales ne sont donc pas académiques, mais ancrées dans le terroir populaire chilien. La mort prématurée de sa mère l’affecte durablement. Monté à la capitale, Víctor fréquente le séminaire, puis intègre l’université du Chili où il participe au projet Carmina Burana (1953). La même année, il débute un travail de recensement du folklore chilien. En 1956, il intègre la compagnie de Mimos de Noisvander, et se forme au théâtre et au jeu d’acteur. Il rejoint ainsi la compagnie de l’université du Chili.
Entre théâtre et musique : l’impossible choix
Ses carrières théâtrale et musicale suivent des trajectoires parallèles à partir de 1957. Il intègre le groupe « Cuncumén » de Margot Loyola, spécialisé dans les danses et les musiques folkloriques, au sein duquel il rencontre Violeta Parra, qui le pousse à suivre une carrière de chanteur. Il devient le chanteur soliste du groupe. Parallèlement, il réalise sa première mise en scène, d’après une œuvre d’Alejandro Siveking, ce qui lui permet de voyager en Argentine, au Venezuela, au Paraguay et à Cuba (1959). Il reste fidèle à cet auteur, tout en explorant d’autres pistes, mettant en scène du Cruchaga, la Mandragore de Nicolas Machiavel, du Raúl Ruiz ou du Brecht. Directeur artistique du collectif « Cuncumén », il réalise une tournée en Europe en 1961 (France, Hollande, URSS, Europe de l’Est…). La même année, il compose son premier morceau, une ballade folklorico-poétique, « Paloma Quiero Contarte ». Ses qualités artistiques sont appréciées, puisqu’il devient en 1963 directeur de l’Académie folklorique de la Maison de la Culture de Ñuñoa, et intègre l’équipe de direction de l’institut théâtral de l’université du Chili (Ituch). Il est ainsi professeur de plateau de 1964 à 1967, dans la cadre de l’université. En 1965, il est primé, et la presse commence à s’intéresser à ce directeur d’acteurs infatigable et talentueux. Sa carrière musicale n’est pas entre parenthèses pour autant, puisqu’il prend la direction du collectif Quilapayún en 1966. La même année, alors qu’il est assistant à la mise en scène de William Oliver sur une œuvre de Peter Weiss, il enregistre son premier disque avec le label « Arena ».
La notoriété
En 1967, c’est la consécration. Encensé par la critique pour son travail théâtral, il est invité en Angleterre par le consul britannique. Parallèlement, il enregistre avec la maison de production Emi-Odeón, qui lui remet un disque d’argent.
La période 1969-1970 marque l’apogée de sa carrière théâtrale. Professeur invité à l’École de théâtre de l’université catholique en 1969, il monte Antigone de Sophocle. Il monte également Viet-Rock de Megan Terry avec l’Ituch. En 1970, il est invité à un festival international de théâtre à Berlin, et participe au premier Congrès de théâtre latinoaméricain à Buenos Aires.
Sa carrière de chanteur et de compositeur prend par ailleurs son rythme de croisière. Il gagne en 1969 le premier prix du festival de la nouvelle chanson chilienne, et chante lors du meeting mondial de la jeunesse pour le Vietnâm à Helsinki. Cet engagement politique de plus en plus affirmé ne le détourne pas de sa boulimie créatrice : il enregistre l’album « Pongo en tus manos abiertas » avec le label Dicap en 1969, et reste en contact avec Emi-Odeón pour un nouvel opus.
La chanson comme un choix politique
En 1970, il renonce à prendre la direction de l’Ituch. Ce choix est fondateur d’un nouvel engagement politique, car il s’engage dans la campagne électorale du parti Unidad Popular de Salvador Allende. Víctor Jara estime à l’époque qu’il peut être plus utile par la chanson, ce qui lui donne l’opportunité de s’adresser au pays entier. Cette nouvelle option, qui lui fait délaisser le théâtre, est confirmée par la parution chez Emi-Odeón de l’album Canto libre en 1970.
De fait, il se met vite au service du gouvernement Unidad Popular. En 1971, il rejoint le ballet national, puis le département des technologies de la communication de l’université technique de l’État. Devenu l’ambassadeur culturel du gouvernement Allende, il organise des tours de chant dans toute l’Amérique latine et participe à plusieurs émissions de la télévision nationale chilienne, pour laquelle il compose entre 1972 et 1973. À la sortie de son opus El derecho de vivir en paz (Dicap, 1971), il est sacré meilleur compositeur de l’année.
Comme le précédent opus, la sortie de La población (Dicap, 1972) témoigne de la ferveur communiste et nationaliste de l’artiste. Il réalise en 1972 une tournée en URSS et à Cuba, où il est invité pour le Congrès de la musique latinoaméricaine de La Havane. Présent sur tous les fronts, Víctor Jara n’hésite pas à s’enrôler parmi les travailleurs volontaires lors de la grande grève d’octobre 1972, et dirige également l’hommage au poète Pablo Neruda (qui vient de recevoir le prix Nobel de littérature) dans le stade national de Santiago, le 5 décembre 1972.
Soutenant toujours activement la campagne législative Unidad Popular en 1973, il chante lors de programmes dédiés à la lutte contre le fascisme et contre la guerre civile à la télévision nationale. Il réalise par ailleurs un tour de chant au Pérou à l’invitation de la Maison nationale de la Culture de Lima. L’année 1973 est également l’occasion de travailler sur ses derniers enregistrements, qui mettent à l’honneur le patrimoine culturel et musical chilien. Il en résulte un album, Canto por traversura, qui est plus tard interdit à la vente.
Arrestation et assassinat
Aux élections législatives de mars 1973, l’opposition du parlement à Allende s’amplifie, bien que celui-ci reste chef de l’État. Il décide de légiférer par décrets afin de passer outre l’assemblée, et recherche un massif soutien populaire. Le Chili est au bord de la guerre civile.
Le jour du coup d’État de Pinochet, Víctor Jara est en route vers l’université technique de l’État où il officie depuis 1971, pour l’inauguration chantée d’une exposition avant de rejoindre Allende au palais présidentiel. Il est enlevé par les militaires et transféré au Stade national en compagnie d’autres militants pro-Allende. On le torture et on lui brise les mains ; il meurt ensuite criblé de balles le 16 septembre 1973, quelques jours avant son 41e anniversaire.
Son martyre correspond aussi à la naissance d’un mythe. Ses derniers instants sont devenus célèbres dans le Chili post-Pinochet par l’intermédiaire du témoignage de l’écrivain Miguel Cabezas. Après l’avoir malmené, les militaires lui ont tranché les doigts avant de lui intimer l’ordre de chanter. Víctor Jara aurait défié les soldats de Pinochet en se tournant vers les militants détenus avec lui et en entonnant l’hymne de l’Unité Populaire. Les militaires l’auraient alors exécuté par balles, ainsi que la majorité des militants qui avaient repris son chant en chœur.
Le 3 janvier 2013 une quarantaine d’années après les faits, la justice chilienne fait incarcérer quatre personnes s’étant rendues à la police, dont Hugo Sanchez, officier responsable de l’exécution du chanteur. Un second responsable, Pedro Barrientos, résidant aux États Unis, est sous le coup d’une demande d’extradition.
Voir aussi
- “El derecho de vivir en paz”, un documentaire en espagnol sur Víctor Jara
- “¿Quién mató a Víctor Jara?”, un reportage en espagnol sur la mort de Víctor Jara
- Elvira Diaz, « Víctor Jara n°2547« , un reportage en français sur la mort de Víctor Jara