Juan Vivés, qui fut agent secret pour le régime castriste pendant de longues années, décrit dans son El Magnifíco, paru aux éditions Hugo et compagnie en 2005, les relations perverses qui unissaient Salvador Allende à Fidel Castro :
Dans les années 60, j’avais fait la connaissance de Salvador Allende, qui venait souvent à Cuba où il était considéré comme un ami — c’était en tout cas ce qu’il croyait. Son amitié avec Fidel lui a coûté bien cher. Il s’était présenté aux élections présidentielles chiliennes en 1952, avant de recommencer en 1958, 1964, 1966 et 1970. Il recevait un soutien économique de Cuba depuis 1964. À l’occasion d’un de ses voyages, de retour d’Espagne, on lui confisqua à la douane de l’aéroport toute une série de films érotiques ou pornographiques, je ne suis pas sûr de la catégorie ; ce que je sais en revanche, c’est que, dans n’importe quel autre pays du monde, à l’exception des régimes extrêmement religieux, ça n’aurait pas eu la moindre importance, mais, à Cuba, on en fit une histoire monumentale, et il fut retenu plus de deux heures à la douane avant que la DGI n’appelle pour qu’il soit relâché — les coupables d’un tel outrage à un invité de marque du Commandant furent même sanctionnés. Plus tard, on devait enregistrer et filmer ses ébats extraconjugaux avec une jeune fille mineure que les services de contre-espionnage lui avaient fourrée entre les pattes pour le compromettre. Il fit plusieurs fois le voyage de Cuba en 1966, et il fut ensuite le chef de la délégation chilienne à la conférence tricontinentale. Presque toutes ses conversations furent enregistrées ainsi que, postérieurement, les entretiens embarrassants où il se mettait d’accord avec Fidel pour recevoir des fonds d’aide pour sa campagne électorale. Car, même si beaucoup de Chiliens l’ignorent, Fidel a utilisé ces informations gênantes comme instrument de chantage. J’ai vu et entendu personnellement ces films et ces enregistrements, où Fidel lui explique de quelle façon il déposera de l’argent pour lui en Suisse, et où Allende précise que la personne en laquelle il a toute confiance est La Payita — qui n’était autre que sa maîtresse. (pp. 198-199)
En janvier 1970, Allende est désigné candidat à la présidence par l’Unité populaire. Nous qui connaissions bien la question, nous savions que Fidel avait dépensé une fortune pour soutenir Allende et que, tôt ou tard, il lui présenterait la note. Le 4 septembre, Allende gagne les élections avec 36,3 % des suffrages, suivi d’Alessandri avec 34,9 % et de la démocratie chrétienne avec 27,8 %. Dans le cadre d’une étrange alliance avec la démocratie chrétienne, Allende est désigné président, et il assume le pouvoir le 4 novembre… Tout n’était qu’expectative, et personne ne pouvait imaginer jusqu’où irait le nouveau président chilien avec son socialisme, mais Fidel savait, en revanche, jusqu’où il voulait le pousser. […] La Havane exerçait une énorme pression sur Allende pour qu’il radicalise sa politique, et le Chilien savait que Fidel était capable de rendre publics le soutien financier qu’il avait reçu pendant des années, et les casseroles d’ordre moral qu’il avait laissées à Cuba.
Une quantité impressionnante de conseillers cubains avaient été imposés dans presque tous les secteurs de la vie chilienne, à commencer par la sécurité personnelle d’Allende, placée sous la responsabilité de Patricio de la Guardia. (…) Plusieurs groupes qui soutenaient le gouvernement étaient manipulés depuis La Havane, tels le Parti communiste, le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) ou le GAP (Groupe des Amis du Président)… La totalité des soutiens politiques sur lesquels pouvait compter Allende étaient téléguidés depuis Cuba. (pp. 231-233).
Si l’ensemble du récit de Vivés est fidèle à ce qu’il racontera encore dans un livre co-écrit avec Alain Ammar [Ammar 2005] et corrobore ce que Jorge Edwards [Edwards 1973] a vu à Cuba durant son séjour en tant que chargé de commerce entre 1971 et février 1972, j’avoue pour ma part être étonné de voir qu’il fasse du PC, à la ligne modérée et partisan d’un accord avec la démocratie chrétienne, un pantin de Castro…
C’est en effet une probabilité. Castro a tenu un discours de cinq heures au Stade National en 1971 (j’y étais). Il venait surtout animé d’un but personnel.
Il a « lâché » Allende. Cet épisode de l’histoire reste obscur, les responsables de cet attentat étant encore en place.