Une des choses dégradantes, une des choses désespérantes de ce temps, c’est son rejet de l’héroïsme. Ça veut dire qu’on ne croit plus dans l’humanité, ça. Un héros, ce n’est pas autre chose qu’un homme pleinement humain, le contraire de l’homme-marchandise. Et le contraire aussi de la créature humiliée devant Dieu. Une humanité sans héroïsme est bonne pour Dieu ou pour le marché, certains petits cyniques contemporains n’ont pas l’air de voir ça.
Olivier Rolin, Tigre en papier, p. 100.

Ce que je crois, c’est qu’on a été la dernière génération à rêver d’héroïsme. Maintenant ça paraît ridicule, (…) mais le monde n’a pas toujours été si ennemi du romantique. Le monde n’a pas toujours été si cynique, si malin. Si averti, ricaneur, « on ne me la fait pas »… Auparavant, les jeunes gens avaient volontiers ce genre d’imagination. Il fallait que la vie soit épique, sinon à quoi bon ? Il fallait côtoyer les gouffres, affronter le mystère. C’est un vieux désir humain, il y a tous un tas de mythes et de poèmes qui racontent ça. Se mesurer aux dieux, aux monstres, découvrir des terres insoupçonnées, explorer cette région inconnue qu’on est soi-même devant la mort. L’Iliade et L’Odyssée, quoi. Depuis deux mille ans, pas mal de jeunes gens ont rêvé d’être Achille, ou Hector, ou Ulysse. Et contrairement à ce qu’on croit à présent ce désir pouvait se conjuguer avec celui d’écrire, de penser. Même, il arriverait que l’un aille difficilement sans l’autre. Il y avait une commune racine de rejet de la monotonie. Il y a eu des poètes, des romanciers, des philosophes soldats, agents secrets, et ce n’était pas des plus minables, tu sais. […] Je sais que vous êtes tous pacifistes, à présent. Et moi aussi, si tu veux que je te dise que c’est plus agréable de vivre en paix. […] Mais, voilà, on n’écrit pas avec ce qui est agréable, on ne pense pas avec ça. On écrit, on pense ce qui blesse, ce qui tue. Et même c’est avec ça qu’on vit vraiment. Pas avec le « principe de précaution ».
Olivier Rolin, Tigre en papier, p. 166-7.