Alors à la fin de notre premier rendez-vous en tête à tête, enfin loin des autres, bruyants et inutiles, nous nous sommes embrassés. Vous m’avez étreint dans la rue d’Italie désertée à cause, probablement, d’une pluie qui était tombée pendant que nous étions au cinéma, à voir un film oublié dès le lendemain. Nous savions tous les deux que l’instant du baiser était le seul qui comptait. Celui pour quoi nous nous étions réunis.

Nous n’avions pu nous voir ni le lendemain, ni celui d’après. Je me souviens il pleuvait encore ce soir-là sur Aix-en-Provence, ce deuxième soir sans vous, depuis que nos lèvres nous avaient rapprochés. Les feuilles de cours que j’avais accrochées pour les avoir sous les yeux sans cesse dans ma chambre, flottaient au bout de leur pince à linge, au rythme du chauffage au gaz qui produisait l’air chaud qui les faisait se dandiner doucement. Nous n’habitions pas si loin l’un de l’autre. Il aurait fallu cinq minutes à peine pour nous rejoindre. Mais vous n’étiez pas disponible, vous deviez vous lever tôt et je n’allais m’imposer à vous quand bien même nous voir et vous laisser dormir n’étaient pas incompatibles. Je me demandais quels sentiments nous unissaient désormais que nous avions sauté le pas. Un baiser c’était loin d’une promesse, il n’y aurait peut-être rien après ceci. Il ne m’a pas encore couché dans son lit, pensais-je, il était hors de question que je me donne à lui, après un baiser, si tendre fût-il. Il reviendra à moi. Mais que suis-je pour me réjouir que l’assouvissement physique me fasse revenir un homme ? Ne devrais-je pas faire payer plus cher le fait de me laisser toucher ? Et si j’ai envie qu’il le fasse.

Nous nous sommes revus. Vous m’avez aimée. A votre façon. Et quittée, prétextant que j’étais d’une routine effarante.

J’ai beaucoup pleuré pour vous. Je pleurais surtout sur moi, car vous aviez raison : j’étais très jeune et conventionnelle, je ne pouvais pas sortir d’un certain carcan social. Et vous m’avez ouvert les yeux. J’ai appris qu’on pouvait baiser autrement qu’après une nuit de flirt en boîte de nuit. J’ai cessé de me conformer au schéma tout établi de la fille qui se fait sauter après le restaurant et le cinéma, à offrir le “dernier verre” convenu que le scénario impose aux acteurs de cette monotone folie du samedi soir. J’ai appris à prendre les hommes autant qu’ils me prenaient, sans trame écrite par d’autres, serait-ce la foule anonyme qui tisse les us et coutumes.

Et si j’ai trouvé un mari intéressant et novateur, sans doute m’avez-vous apprise, en me laissant avec pertes et fracas, merci salopard, à le trouver.

V., éphémère maîtresse en janvier 1968 ; lettre envoyée sur le site.