§1. En effet, à 13h23, Pablo Neruda descend du vol 171 de la LAN, lentement, avec une difficulté évidente et paraissant fatigué, en compagnie de Matilde Urrutia, sa troisième épouse. Sur le tarmac, heureux de le retrouver, l’attendent le sous-secrétaire général du PC, Víctor Diaz, les membres de la commission politique Volodia Teitelboim et Jorge Insunza, Aída Figueroa, confidente de Matilde Urrutia, accompagnée par son mari, l’avocat et ministre de la justice Sergio Insunza1, la sénatrice Julieta Campusano, et quelques amis personnels. S’il n’y avait qu’eux ; mais il y a beaucoup de journalistes qui sont là aussi et veulent recueillir ses premières impressions, après ses deux ans d’absence dans le pays. Mais ne peuvent lui soutirer qu’un échange vide :
— Que puis-je vous dire ? J’ai peu d’imagination… Tout ce que je peux vous dire maintenant est : vive le Chili !
— Retournerez-vous à Paris ?
— Naturellement, on retourne toujours à Paris !
Quittant la neige parisienne pour le soleil chilien, le poète et sa femme ne sont pas mécontents de gagner une vingtaine de degrés sur le climat qu’ils ont laissé derrière eux. Ils se réfugient rapidement dans une voiture qui les attendait et ils vont, en compagnie de Jorge Insunza, le député communiste, le docteur Francisco Velasco et Marie Martner, leurs grands amis, avec qui ils partagent la maison de Valparaíso, la Sebastiana, vers leur demeure d’Isla Negra, sur la côte chilienne.
Le soir Jean est à la Foire du jouet avec Pablo, l’autre, le petit de Natalia. Sur leurs quatre yeux d’enfants se reflètent les lumières des jouets, leurs oreilles se sucrent de tous ces sons, et Natalia peut lire tranquille, sachant son fils entre de bonnes mains, joyeux, et elle-même joyeuse de sa joie à lui, relation spéculaire et lien profond qui demeurent toujours un peu entre deux êtres qui ont été un jour attachés par un cordon. Ce Jean est un homme bien, se dit-elle, en terminant Radiguet, qu’elle abandonne sans plus y penser.