Mais que sais-je de ce rendez-vous ? Ne l’ai-je que rêvé ? Au fond.

Je vois encore, dans cette longue nuit polaire du souvenir. On me prévient que j’ai de la visite au parloir. Je reconnais son nom, je ne sais pas comment c’est possible qu’il vienne me voir. Je ne sais même pas si c’est possible. Peut-être que sa proximité avec mon cas aura échappé aux contrôles. Je ne me soustrais pas. Si c’est une épreuve, il faut l’affronter. Je lui dois bien ça. J’y vais donc, gravement, épais comme une pierre, préparé à l’idée d’encaisser des coups de marteaux espérant ne pas me briser.

Il est là, à me regarder avec ce même regard de haine que pendant le procès.

Je m’assois devant lui et voilà que nous nous faisons face. Je décide de soutenir son regard : il vient me voir, qu’il me voie vraiment ! Je ne fuirai pas. Je suis dans une impasse, pris au piège. S’il faut se faire manger autant être dévoré avec dignité.

— Il paraît que vous demandez finalement une remise de peine.

— Oui.

— Vous ne m’étonnez pas.

— Je ne tenterai pas de vous apitoyer, ce serait indécent. Mais les conditions de vie ici sont effroyables. On signerait avec le Diable.

Il ne bouge pas. J’essaye de revoir s’il y a indice qui me permettrait de savoir si ce n’est pas une apparition, s’il n’est pas un mirage produit par moi-même quelques mois plus tard, après des nuits de sommeil fragile et douteux. Je revois ses vêtements, ses mains, son corps immobile comme une statue de glace, il est glabre et ses yeux sont bleus. Ses traits de visage me rappellent qui il est, me le vocifèrent, presque à mon front, à en sentir son haleine de haine, ses dents dans ma peau.

— Soit, reprend-il. La justice humaine ne vous a pas condamné plus lourdement. Puisque vous avez plaidé coupable vous auriez pu, ou pourriez à l’avenir, avoir l’intelligence d’appliquer la justice dictée par la morale, de vous-même, sans que je sois obligé de venir vous le dire. Si vous avez le sens de l’honneur, partir de vous-même serait la plus digne fin pour vous.

— Me suicider ?

Son visage acquiesce légèrement ; c’est la première fois qu’autre chose que ses lèvres bougent.

— Vous considérez que je vous dois ma vie ?

— Oui.

Il me fusille droit dans les yeux, sans sourciller, me clouant au pilori de sa colère. Et reprend sans trembler :

— Oui. Vous suicider serait honorable, juge-t-il en insistant bien sur le verbe, montrant qu’il a parfaitement compris et réfléchi à ce qu’il vient de dire.

Nous sommes unis dans un même silence.

— Je sors le 11 mars, reprends-je, tôt dans la matinée. Venez me prendre ma vie, si vous pensez qu’elle est à vous. Je ne me défendrai pas. Je vous suivrai où vous voudrez. Vous et moi serons les seuls à connaître cette promesse. Mais c’est à vous de décider, à vous de le faire, moi je choisis de vivre malgré tout.