Et puis en ce 6 avril 1972, lorsque j’arrive à mon point de contact, à Millau, c’est la claque : je pensais arriver dans une petite ville morne et en déréliction industrielle, et voici que je débarque en pleine effervescence revendicative. Les camarades me voient débarquer avec la joie de voir arriver sinon la relève, au moins un peu de renfort. Et ils en ont besoin, car une fois de plus les voilà sur le pont de la lutte, puisque ce matin – après deux semaines de conflit entre ouvrières et patron concernant les cadences de fabrication des pantalons que le dernier voudrait imposer, à l’encontre de la raison (voici ce qu’ils m’expliquent en deux mots) – les ouvrières de la S.A.M.E.X. ont décidé d’occuper leur entreprise.
Ils me voient cependant aujourd’hui comme un boulet, aussi, car ils n’ont pas le temps de m’expliquer tout ce que je devrais savoir pour pouvoir les aider. Notamment à contenir la C.F.D.T. qui ne s’est greffée que dans un second temps à la lutte – et encore sur des revendications a minima poussant le patron à simplement respecter la législation française et les conventions collectives ! Elle ne propose donc aucune avancée sociale, « cette minable C.F.D.T. qui incitait les camarades à ne rien faire de peur de la délocalisation et qui après s’être vue dépassée par les ouvrières veut prendre non seulement le train en marche mais ont le toupet de se voir à conduire la locomotive », les voilà à faire de la retape pour encarter le plus possible. « Alors que sans nous rien ne serait lancé dans cette ville apeurée par le spectre du chômage, l’armée de réserve nationale – Marseille notamment, où l’immigration permet de maintenir les employés sous pression permanente – jouant parfaitement son rôle », précise avec aigreur un des camarades. Il me faudrait ainsi savoir reconnaître qui est qui, des ouvriers, des syndicats, éventuellement des cégétistes (la C.G.T. a refusé de prendre part à la grève car parmi les 130 grévistes il y a… 2 maoïstes) ou des policiers infiltrés sans doute pour que ça dégénère et nous faire porter le chapeau – nous, moi qui n’ai rien fait ? Serais-je aussi atteint du virus du parasitisme militant ? Moi qui suis juste venu prendre contact avec les camarades la cellule locale du Secours Rouge établis dans la ville, leur donner un peu de matériel pour les aider à mener à bien leur action, je ne peux rien faire d’autre dans la journée que de vendre des exemplaires du dernier numéro de la Cause du peuple, en attendant qu’on me demande quelque chose de précis. Ou qu’on me coffre pour activité subversive, car je ne suis pas Sartre et les flics n’auront pas de scrupules à me mettre sous les verrous une fois de plus !