Tout le monde a eu la même réaction sur le plateau puisque nous voilà tous à descendre de nouveau, comme une armée sans armes allant fêter sa première campagne victorieuse à la ville !

Lorsque nous arrivons, l’œil impassible des policiers qui quadrillent une fois de plus la ville, nous attend. Cette omniprésence ne nous fait pas peur, car nous n’avons rien à nous reprocher puisqu’aucune violence n’est prévue, comme me l’expliquait un non-violent avec qui je discutais hier soir avant de dormir, chez Guy. La désobéissance civile qu’ils prônent, pour active qu’elle soit, se refuse à répondre à toute provocation. Les policiers perdent alors leur temps, et j’en vois même quelques-uns des nôtres qui vont proposer à ceux des hommes en uniforme qu’ils connaissent, en civil, s’ils veulent se joindre à nous pour manger et boire au triomphe du droit et de l’humanité face à celui qui voulait transformer ces pauvres femmes en machine mourant sur des machines, pour confectionner des pantalons que des machines tristes porteraient afin d’aller comme des machines travailler eux aussi sur des machines, et ceci à perte de vue pour une société déprimante qu’on oublierait en s’alcoolisant les samedis soirs de détresse.

Or, comme dans les finals d’Astérix le Gaulois, il faut toujours un barde tenu à l’écart qui ne semble pas goûter totalement la fête. C’est un des camarades « gauchistes », que je feins de ne pas reconnaître :

— C’est parce que nous avons lancé la première grève depuis longtemps dans la ville, en novembre dernier, qu’aujourd’hui les camarades ont eu le courage – contre leur syndicat-larbin – de s’opposer au fascisme. Si aujourd’hui il y a la S.A.M.E.X., c’est parce qu’il y a eu Henfer [nom de l’entreprise où eu lieu la grève du 6 novembre], c’est parce qu’il y a eu la force. Avec la non-violence vous faisiez quoi ? Vous regardiez les patrons transférer les chaînes ailleurs en lui disant « c’est pas gentil » en espérant qu’ils soient un peu humains, ces gens-là qui ont exploité auparavant les ouvrières ? En leur montrant les femmes en train de pleurer pour les apitoyer ? Eux qui les traitaient comme des moins que rien, du patron méprisant aux petits chefs qui espéraient avoir un droit de cuissage sur elle ?