Me voilà, là, encore sur le chemin. Je marche et regarde les arbres, réalisant soudainement, après mon errance dans le labyrinthe de mes pensées, que je marche sur ce chemin. Je marche. Les arbres me font face, ils n’existent à cet instant que parce que je les regarde. C’est moi qui leur donne vie. Tout simplement. Ils n’ont que faire de moi, aussi ; ils existaient avant, ils continueront après moi : je passe, ils restent. (Les deux assertions précédentes s’opposent, je les laisse se battre aux pieds des arbres et je ferai mien celui des deux points de vue philosophiques que chacune véhicule, qui gagne le duel. Ou le perdant, je n’ai pas encore choisi.)
En attendant je repense à moi. A ma mort. Ce qui me nie fait-il pourtant partie de moi ? Est-ce ma mort, ou au moment où la mort frappe ne suis-je déjà plus personne, même pas le “je” de « je suis » de sorte qu’elle n’appartienne à personne et que « suis » flotte sur l’eau comme un navire sans ancre ? A moins de la choisir, de lui donner rendez-vous à diner et qu’elle daigne descendre de son piédestal pour venir accepter l’invitation.
Non, jamais malgré les difficultés de mon corps à me servir comme aux meilleures années, je ne penserai m’en aller. Il est une vanité, je crois, de décider soi-même le jour du départ ou une lâcheté de ne pas consentir au déclin. La mort nous tombe dessus, un jour, il ne faut pas vouloir tout contrôler, c’est un travail de maniaque, de fou, de névrosé, que sais-je ? Bien sûr il ne faut pas non plus se résigner : c’est une partie dont il faut accepter les règles. S’il est de bonne guerre de vouloir retarder l’échéance mystérieuse, cela prouve aussi l’attachement à la vie qui ne peut qu’être compris qu’avec joie, il faut savoir que l’on perdra toujours, de toute façon, et ne pas baisser les bras pour autant.