§14. Ce1 n’était pas une bonne idée d’aller me promener dans le centre-ville de Santiago alors que des affrontements s’y déroulent depuis quelques jours. Des manifestants qui soutiennent les grévistes viennent scander des chants et slogans sous les fenêtres des ministères, vitupérer les fonctionnaires de la DIRINCO2 qui viennent réquisitionner les locaux commerciaux pour les obliger à ouvrir, les traitant de « voleurs », leur jetant des pièces de monnaie, s’échauffant jusqu’à ce que les carabiniers ne les dispersent à coup de jets d’eau ou de gaz lacrymogènes… Ce n’était pas une bonne idée et pourtant je suis là comme un idiot avec mon sandwich à pleurnicher à cause de ces gaz qui commencent à piquer. Je vais me retirer vers les rues plus calmes que je n’aurais pas dû quitter. Des gens habillés en civil prennent des photos des manifestants, patiemment, en individualisant apparemment leur cliché. Qui sont-ils ? Pour quoi, pour qui, ces photos ?
Notes
- « “Qu’importe qui parle ?” En cette indifférence s’affirme le principe éthique, le plus fondamental peut-être, de l’écriture contemporaine. L’effacement de l’auteur est devenu, pour la critique, un thème désormais quotidien. » FOUCAULT Michel, [1969] « Qu’est-ce qu’un auteur ? », dans Dits et écrits, Gallimard, coll. Quarto, vol. I, 2001, 817. Il se pourrait que, pour aller plus loin, il faille jusqu’à estomper les frontières des personnages, les fondre dans la structure où ils se débattent, ombres, discours sans corps, « comme un cri cherche une bouche » [Dominique A., « Par l’Ouest »], à lutter vainement pour un peu d’identité fragile, enroulée sur un lieu vide, des hommes. Mais n’est-il pas, l’Homme, mort et rangé déjà sur l’étagère de nos vieilles métaphysiques usées ?
En plus, il paraît que depuis l’Outre-Monde que Foucault a adoré ce texte. Tu peux donc l’aimer aussi, camarade !
- Direction de l’Industrie et du Commerce, qui exista au Chili entre 1960 et 1982, remplacée aujourd’hui par la SERNAC, consacrée aux droits des consommateurs et à l’approvisionnement.