§7. Je suis Jean et sur le Cerro San Cristobal d’où je regarde la ville à mes pieds. Et à ceux de la Sainte Vierge Marie, chantée par de nombreux « Chrétiens pour le socialisme », tout un groupe à côté de moi, qui tiennent leur Forum sur le pouvoir populaire, ce week-end, à Santiago. Etranges personnes que tous ces chrétiens qui ont les Evangiles dans une main et le Manifeste du Parti Communiste dans l’autre. Enfin, ils chantent dans mon dos et leurs voix achèvent de donner à ce moment une certaine originalité. Car je n’ai pas attendu que Natalia se manifeste pour savoir si l’on se verrait ce week-end ; je suis parti de la rue Vasconia. Je n’ai même pas averti Agustín de mon départ. Je ne suis pas le jouet de l’un et l’enfant de l’autre. J’avais besoin de découvrir cet endroit, et de prendre de la hauteur. Car je me suis fâché l’autre jour avec mon colocataire, pour des raisons idéologiques. Oui je me suis rendu à une réunion du Parti Communiste Révolutionnaire, répondant à l’invitation d’Arnaldo. Oui, il m’arrive de lire El Pueblo et Causa Marxista-Leninista, leurs journaux. Tout en sachant que ce sont des dissidents du Parti, et sans pour autant me sentir coupable moi-même de trahison ou de rébellion. Et je trouve que le parrainage d’Agustín, qui m’a bien aidé au départ, commence à m’être comme un boulet au pied, à me scléroser, à me restreindre. Je n’ai pas besoin de ses tampons pour avancer, ni de ses avis de plus en plus impératifs, du moins les ressens-je désormais comme ça…

Une fois que nous étions tous les deux seulement, Michel m’avait dit, sous le coup de la confidence : « Tu sais, “Mai” n’a peut-être été qu’un grand mouvement d’émancipation du rationalisme. On voulait de la poésie sous toutes ses formes, de l’amour dans toutes ses manifestations, et de la liberté ! C’est le jazz qui coulait dans nos veines, même lorsqu’on feignait de parler politique. Les trotskistes, les maos, les partisans de la prise de pouvoir, les révolutionnaires, tout ça c’est un grand brass band. Les gros bras de la CGT et les brutes épaisses de la CGT n’ont pas compris ça : ils sont du même côté que Pompidou, que le pouvoir ou des CRS. Ils sont du monde mort. » Nous parlions en France et de Mai 68 et je suis au Chili en 72 avec les mêmes questions. Les cordons industriels sont-ils du jazz, ou du rock ? Sont-ce le MIR ou le PCR qui doivent jouer les solos et emmener le morceau à bon port ? Le PCCh ne joue-t-il que les vieilles partitions des Temps Anciens, peut-être dans des retranscriptions dont il ne se rendrait pas compte ? La « bataille de la production » ce vieux chant que doivent aussi entonner les esclaves noirs des champs de coton d’Alabama…

Il faudrait que je quitte la maison d’Augustín, pour me prendre un logement à moi, seul. D’autant plus que les rares fois où Natalia est venue, j’ai vu que leur relation n’était pas au beau fixe. Le fait « qu’elle se radicalise » semble désormais lui sembler plus grave qu’avant, presque intolérable. Ou sont-ce les efforts laissés pendant la bataille d’octobre et la faim qui nous mettent tous un peu sur les nerfs ?

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