§21. Il est assez tard, Claudio sent l’homme qui vient d’un entrainement de foot, c’est-à-dire qu’il donne un peu raison à Darwin lorsqu’il affirmait la continuité biologique de l’animal avec l’homme, et l’homme malheureusement blessé, au sens propre.

— Quelle connerie de se blesser avant ses vacances ! Je suis sûr que cet enfoiré du MAPU l’a fait exprès de me tacler comme ça !

Je ne vais pas l’encourager dans cette paranoïa-là d’autant plus que je n’étais parmi les spectateurs de leur séance, je passe donc à autre chose :

— Alors c’est vrai, ça se confirme vos congés payés à Sumar ? — lui demandé-je. — Malgré l’interdiction de vacances qu’imposerait Faivovich1 dans certains secteurs, comme on le dit.

— Oui, de demain jusqu’à la fin du mois. Mais ça ne me réjouit pas trop, étant donné que c’est le manque de matière première qui justifie cette mesure… On n’allait pas venir tous les jours pour rien.

— Vous êtes bien toujours sous contrôle de l’interventor ?

— Oui, oui, il fait ce qu’il peut. Avec cet embargo des impérialistes, ce n’est pas facile…

— Tu crois que les EUA ont à voir dans le manque d’approvisionnement ?

— Oui, sûrement —me répond-il en reprenant un verre — Enfin on a notre part aussi… ça me laissera du temps pour militer et préparer au mieux le 4 mars. C’est déjà ça.

Un copain arrive, qui, lui, sent le cambouis et a les mains bien noires qui le trahissent.

— Une bombe a explosé devant le centre sovietico-chilien !

— Si c’est pour arriver avec de mauvaises nouvelles, toi, tu peux repartir… — lui fais-je en rigolant pour montrer que c’est du second degré.

Mais Claudio a un petit haussement de sourcils qui me fait comprendre qu’il a pensé que je m’amusais de l’information.

— Mais il n’y aurait pas de mort. C’est un voisin qui m’a dit ça en passant. Cela dit si tu veux une bonne nouvelle, franchute, aujourd’hui s’est créé le premier « Commando Provincial d’approvisionnement direct ».

Claudio a un autre haussement de sourcils, qui indique que cette nouvelle n’a pas pour lui de raison d’être qualifiée de « bonne ».

— On promet la création du Panier Populaire et la consolidation des JAP, que doit toujours annoncer Flores : ça ce sont des nouvelles encourageantes. Mais la multiplication de l’éparpillement contre-populaire, ça c’est de la merde ! — tonne-t-il alors.

— Oh oui, vous les communistes dès que c’est pas à vous, vous sabotez en en décourageant les gens !

— On sabote, nous ? Tu te fous de moi ? S’il y avait plus de communistes qui bossent, moins de PS-MIR qui râlent ou moins d’ouvriers qui trahissent la classe ouvrière en suivant la DC, et moins de bordel, on serait pas en train de créer les premiers rationnements !

— Ah, parce que ça bosse à Sumar ?

— C’est parce qu’o… oh, ta gueule ! Moi je rentre chez moi, ça suffit aujourd’hui.

Il paye en sortant et s’en va sans dire un mot.

Et puis l’autre, le copain qui est resté, m’apprend que la Kennecott Coper a obtenu, avant-hier, une saisie-arrêt d’une cargaison de cuivre chilien qui devait être livrée en RFA. Pourritures charognardes, traquant le pays pour lui retirer quelques sous qu’elles n’ont pas besoin… C’est vrai qu’il est pénible, ce mec, avec ses mauvaises nouvelles, je rentre aussi.

A la maison, Marcia est tout sourire, me demande où j’étais, me parle de ses factures d’électricité, qu’il faut faire attention avec la lumière, bien l’éteindre, oui, oui, pourquoi cette journée finit-elle si mal ?

Note

  1. Rappel : Jaime Faivovich (PS) est l’Intendant de Santiago.

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