§25. C’est même grave puisqu’alors qu’une amie me proposait d’aller voir « Un arbre pour le futur » d’Iannis Xenakis, aux Thermes de Cluny à 20h30, aujourd’hui, « avec des actions de lumière et de son (flashes, lasers et musique électroacoustique) », je préfère aller seul voir Vote+Fusil de Helvio Soto: je choisis la politique aux femmes, deviens-je un affreux rabat-joie calvino-marxiste ? Ou est-ce parce que je n’étais pas très passionné par les élucubrations mathématiques de Xenakis mises en son (je n’ose pas dire « musique »), et que cette amie ne me passionnait pas non plus assez pour que je m’inflige ça en attendant avec impatience le verre qui suit le spectacle et qui est la vraie raison de la soirée, là où, dans l’hypocrisie de la séduction, cinéma, théâtre, danse, spectacle, etc. ne sont que des préliminaires. Et ne me faites pas dire que l’Art n’est qu’un aphrodisiaque, un lieu de rendez-vous, un entremetteur, bref qu’il ne sert au fond qu’à faire l’amour…

Mais du coup je rentre tôt, n’ayant rencontré personne à la projection, assez tôt pour croiser Maman devant la télévision me parler avec des paillettes dans les pupilles, de Mélodie en sous-sol avec Jean Gabin et Alain Delon, qu’elle vient de voir sur la 1ère chaine.1 Je me rends alors compte que cela fait 24 jours que je suis à Paris, chez mes parents et que, même si cela faisait trois ans que je ne les avais plus vus, je n’en peux plus ! Et je ne peux même pas quitter la ville pour y avoir des choses à y faire ces prochains temps, alors plus le choix : activons le plan d’évacuation des lieux.

Addenda : Au moment où il vit ceci à Paris, Juan ne peut pas savoir qu’en même temps, à Santiago du Chili, Helvio Soto, le Chilien disciple de Costa Gavras, a quelques démêlés avec le PS, par la voix de Las Noticias de Ultima Horas, au sujet de son dernier film. En deux mots, le journal socialiste accuse d’une part le réalisateur de présenter dans La transfiguration d’un policier, une vision négative du processus révolutionnaire chilien, parce que trop réformiste. D’autre part, de ne sortir le film qu’en France, ce afin de gagner éventuellement plus d’argent (un péché véniel du socialisme !) que s’il l’avait sorti au Chili. En même temps, en faisant la critique de la voie pacifique, il veut aussi tenter d’influencer les électeurs français à la veille de leur propre élection parlementaire, où la gauche est unie pour la première fois dans un rapprochement identique à celui réalisé par l’UP (parallèle qui est très souvent fait de ce côté Est de l’Atlantique), pour les mettre en garde contre ce vote de gauche mollassonne. Néanmoins, dès lors que le film ne sera pas vu au Chili, même si les fonds viennent principalement de RFA, on lui reproche aussi d’avoir voulu expatrier illégalement des pellicules tournées avec du matériel appartenant à une chaine étatique chilienne, bloquées par la police à l’aéroport car ne pouvant servir à l’étranger. Toujours selon le journal, Soto lui aurait envoyé un droit de réponse impubliable, car injurieux ; il lui demande d’en réécrire un autre pour pouvoir le publier cette fois-ci.2

Notes

  1. En noir et blanc, donc.
  2. Et pourquoi croyez-vous que je sois allé voir ce film presque aussi pompeux et précieux qu’un Godard alors que je pouvais passer une soirée à compenser le martyre de mes oreilles par la vue d’une femme aussi envoutante qu’est Julie, si ce n’est pour offrir le prétexte au narrateur de rebondir sur le sujet ? Sérieusement, comment sont sélectionnés les narrateurs ici ? Il faut d’ailleurs noter plusieurs choses intéressantes dans cet article. Premièrement, Soto montre des Chiliens trop « tièdes et vacillants », et dépasse donc le PS sur sa gauche. Du coup le journal trouve le film mauvais sur la forme et ironise sur sa capacité à faire réfléchir le public-électeur français. Aurait-il fait l’apologie du PS que le même film aurait été louangé en retour, mais évidemment la critique de copinage est une soupe aussi vieille que le monde. Deuxièmement, la compétition ès-gauchisme : finançant son film en Allemagne occidentale et distribuant son film en France, le réalisateur veut s’en mettre plein les poches : le donneur de leçons n’est qu’un petit-bourgeois et n’a rien d’un révolutionnaire comme nous. Troisièmement, il faut remarquer la question posée à la fin de l’article : peut-on prêter du matériel étatique pour un film qui critique l’Etat ? Si les artistes de gauche étaient autre chose que des guignols soucieux de leur images de marque et bien rangés dans la catégorie des bienpensants, ils s’apercevraient qu’étatisme et liberté de création sont deux choses incompatibles… sauf quand l’étatisme (dans les stades encore peu avancés de collectivisme) leur permet d’user les impôts des bourgeois pour que nos grands créateurs se moquent d’eux, du système ou de la société. [Note de Juan]

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