§XX de X.
Cher narrateur,
Je t’écris aujourd’hui dans l’espoir que tu puisses intercéder en ma faveur : tu sais bien que j’ai décidé de me venger de Salvador Allende, et je pensais qu’avoir une relation avec Hortensia Bussi Allende, sa femme, serait une belle façon pour moi de le faire. J’ai fait tout ce qu’il fallait pour me faire entrer dans les sphères du Président : je me suis rapproché d’un général qui lui-même connait bien Prats, j’ai fait de l’entrisme dans la démocratie chrétienne pour tenter de connaître Radomiro Tomic… je pense que je me suis bien aidé, maintenant si le Ciel pouvait m’aider à son tour, ce serait justice, ne crois-tu pas ?
Et puis ce serait aussi une belle façon de la venger, elle, de cet opprobre public que lui fait subir son mari. Il n’y a aucune hypocrisie dans cette démarche. Certes je suis moi-même un séducteur et il paraitrait que je suis mal placé pour donner des leçons de vertu ou tartiner des bons sentiments féministes, mais remarque bien que je ne me suis jamais marié, moi, et n’ai rien promis devant témoins, ni sans, d’ailleurs. Et Dieu saitque j’aurais pu… Ce que fait Allende est donc immoral et humiliant pour cette pauvre femme !
Les arguments qu’on m’oppose me semblent ne pas tenir la route : il n’y aurait rien d’inutilement provoquant dans cette relation. C’est une belle femme, digne, respectueuse, qui s’occupe de ses filles de manière admirable ; et avec qui, d’ailleurs, Beatriz n’est pas très tendre, ayant depuis le début de la relation de son père avec sa voisine puis secrétaire personnelle, elle a choisi le camp de la Payita contre sa mère. (Et ne me dis pas que je ne peux pas le savoir, moi, tout cela se sait et, Gloria, en plus d’être une magicienne pendant l’amour est aussi une belle conteuse sur l’oreiller). La différence d’âge,1 est mon problème ; pas d’arguties. J’aimerais donner l’occasion à cette femme d’apparaître autrement que comme la première dame acceptant sans faire de scandale son statut de femme délaissée, avalant toutes les couleuvres de son Président de mari sans s’affirmer, éternelle seconde, femme de représentation, simple mère ; il y a aussi un projet noblement féministe dans cette demande : pourquoi ne peut-elle pas aussi avoir ses aventures, oublier un peu son mari, avoir du plaisir, ses secrets adultères ? La belle affaire que de ne voir en elle qu’une Pénélope aimante et triste attendant son Ulysse reparti faire le zazou avec Nausicaa et ses copines dans les boites de nuit interlopes de Mycènes, ou jouer à la guerre une fois de plus… Cette femme mérite mieux : moi.
Et puis remarque que me laisser me rapprocher toujours plus de Salvador Allende, est un argument commercial imparable. Sa figure fait vendre.
Peux-tu m’aider ? Je te remercie d’avance.
Cordialement,
Juan.
PS : nous pourrions aussi me faire avoir une relation avec une des trois filles. Beatriz, enceinte et amoureuse ferait peu l’affaire : il faudrait dire que l’enfant est de moi, et ça deviendrait un peu trop tiré par les cheveux. Carmen Paz ce n’est pas crédible non plus et Isabel est mariée avec deux enfants. Ce serait envisageable, mais de manière illégitime, de sorte que, ainsi caché, je ne pourrais pas me rapprocher plus de mon concurrent présidentiel, ce qui est bête. Non, je pense que le mieux serait sa femme, tu vois ?