§2. Donc c’était pour ça qu’Agustín voulait me voir : créer un nouveau cordon industriel à Vicuña Mackenna dirigé par la CUT …et le PC.

— En effet, nous ne pouvons longtemps laisser cette organisation sans légitimité faire la pluie et le beau temps dans le secteur. Je sais que tu n’étais plus trop actif par ici, suite à ton déménagement, mais je sais aussi que tu es de retour, et qu’avant que je te demande de ne plus y participer tu étais un membre actif du cordon, remplissant cette tâche avec joie.

Je ne sais quoi lui répondre… Je m’attendais à tout sauf à ça. Il reprend :

— Des camarades du Parti travaillant à Textil Progreso pourront servir de noyau dur de ce cordon industriel efficace et harmonieusement coordonné avec la CUT, et non pas cette série d’actions épidermiques sans ligne aux mains de ces enfants qui jouent à la guérilla.

— Tu n’as pas peur, Agustín, que cela ne serve qu’à alimenter la division dans nos rangs ?

— Nos rangs ? Tu considères, maintenant que tu as plus d’expérience de ce qui se passe dans le pays et que tu es, j’espère, moins naïf qu’à ton arrivée, que cette agitation que produit le MIR a à voir avec ce que nous faisons, nous, en appui du gouvernement ?

— Il ne me semble pas que le PC soit si proche que cela du gouvernement… N’ai-je pas souvent lu dans les textes du Parti que la dictature du prolétariat était inéluctable alors que c’est justement cette étape que devait sauter pour la première fois dans l’histoire la voie chilienne…

— Très bien, Jean. Tu vas aller parler à la droite, alors. Leur dire que ce serait bien qu’elle ne se comporte pas conformément à ses intérêts de classe et que si on se donnait tous la main, on pourrait avancer ensemble sans passer par cette phase critique de la révolution. C’est vrai, ça, on est bête, nous autres Chiliens, nous n’y avions pas pensé ! Heureusement que tu es là !

— Le sarcasme n’a pas sa place ici, camarade. C’est étrange comme proposition, c’est tout. Un nouveau cordon, parti de rien, alors que les travailleurs sont déjà occupés au premier, ne se créerait pas facilement, sans résistance. Et pourquoi concurrencer l’existant plutôt que de l’intégrer et d’unifier nos forces ?

— Parce que les extrémistes ne nous laisseront pas aux manettes de leur levier d’action contre le gouvernement. « Ensemble », ou nous travaillerions pour eux, contre l’intérêt du Peuple, ou nous nous déchirerions au point de briser les quelques actions qu’ils réalisent… Il faut montrer au Peuple comment les communistes gèrent sérieusement, avec le soutien de la CUT et des institutions étatiques (qui auraient confiance en nous étant sûrs que nous ne voulons pas les remplacer), peut-être pourrions-nous obtenir un pacte de non-agression de la part de la DC si nous montrons que nous pouvons marginaliser ces poux qui nous font gratter la tête ! Nous allons leur donner une belle leçon à tous. Mais il nous faut la contribution de tous dans nos rangs. Et j’ai besoin de toi ! — il a des flammes dans les yeux, des projets qui voudraient sortir de ses pupilles pour que je puisse les visualiser. — Tu as gagné le respect de tous, les hommes sont fiers que tu viennes d’aussi loin pour aider le pays.

Un petit rire me prend.

— Quand je pense que le premier contact que j’ai eu avec un révolutionnaire, c’était Natalia, qui me demandait si j’allais servir ou si je ne serais qu’une bouche à nourrir de plus…

— Non, Jean, les travailleurs avec qui j’ai discuté sont touchés que tu aies tout laissé dans ton pays pour venir les aider ! Ça leur donne du baume au cœur. Ils sentent que ce qu’ils font et endurent a une résonance internationale.

— “Tout”… — pensé-je à mes conditions de vie à mon départ de Paris.

— Si ! Quelle qu’ait été ta vie avant, et qu’importe : tu avais au moins une langue, des habitudes, une sécurité, tu connaissais ta ville… Tu sais que je ne suis jamais allé à Paris ? Ici nous n’avons même pas la première ligne du métro, tu crois que j’arriverais à me retrouver dans toutes vos lignes à vous ?

Nous nous sourions.

— Réfléchis, Jean. Tu as là l’occasion de continuer ce que tu avais fait ici, et de le faire en mieux encore.

— Je réfléchirai, promis.

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