§5. J’étais loin d’elle. Mais une grande envie de la voir me possédait. De sentir son corps contre le mien. D’embrasser ses douces lèvres d’un rose empli de pénombres. De lui faire la surprise d’un retour qu’elle n’attendrait jamais. Téléphoner avant de le faire pour ne pas l’effrayer quand je rentrerais ? Non, je serai silencieux, elle tellement insensible au bruit, et me glisserai dans les draps à son plus grand étonnement, sans doute, tant habituée à mes caresses. Elle, se laisserait faire et ne comprendrait que le lendemain l’anormalité de ma présence. Je chantai dans la voiture avec les camarades du groupe d’action qui m’accompagnaient, heureux de voir les kilomètres défiler comme un compte à rebours. Heureux d’avoir été libéré plus tôt que prévu, toujours plus proche de son corps, à toute bride. Juste la retrouver : cela seul m’importait à présent.

Pas de lumière, elle devait dormir, tant mieux. J’insérai la clef tout doucement mais quand même un « clac » bien inopportun. Un flot me pénétra, l’odeur de chez nous, pas un bruit (je ne l’avais pas réveillée, tant mieux). Écouter, sur le pas de la porte à présent refermée, et entendre. Les bruissements trop nombreux des draps, un long soupir d’un plaisir à demi dans les rêves. Je restai figé. Incapable de rassembler mes pensées en une seule impression, les jambes ayant peine à me supporter. Glacé. Aucune envie d’entrer dans le lit pour y rencontrer les bras poilus de l’auteur de ce râle masculin. Et sûrement pas ceux de Morphée.

Elle. Natalia. Même elle, … même elle. Un gouffre.

Dans le noir le monde s’écroule. Il vient faire de mon corps meurtri au plus profond, la clef de voûte sur laquelle repose toute la pesanteur. La gorge sèche, l’estomac broyé. Moi comme un désert brûlé et sans même de force pour crier encore. N’aurais-je pas voulu mourir que de vivre ça ? Et je suis terrassé debout, vivant. J’affronte son corps qui se dessine dans la nuit. Son corps nu, son si beau corps que j’aimais tant. Son petit corps chaud qui avance vers moi. Elle me voit, son visage se tord en une affreuse grimace, puis c’est la colère qu’elle semble exprimer. La clef de chez elle tombe de mes mains, je suis un étranger en ces lieux. Sur ce point je ne peux pas me tromper. J’ai eu tort de pénétrer ici.

Je m’enfuis en courant.

Combien ai-je aimé la solidité de ses épaules ? Elles étaient fermes et si familières. Une présence rassurante. Sa douce voix réconfortante me perçait. Un si beau corps qui sentait bon ; et là tout humide encore. Quand la souffrance est si forte que se passe-t-il que l’on soit au-dessus d’elle ? Et le coup si violent qu’on ne le sente pas tout de suite. Le hurlement si puissant qu’il faille des détours pour qu’il fasse éclater les tympans ? Plus aucun plan stable : dans la chute générale rester sans mouvement. Inertie du vide. Force des tréfonds. Dans la destruction, involontairement entier / meurtri, et pourtant. Est-ce un supplice ? Est-ce une punition sans fin ? Impossible de ne pas rester présent, toujours rester conscient, trop là, à la première personne, le vivre …et en rescapé ; faut-il que les coups ne soient jamais si durs qu’ils pouvaient l’être dans l’imagination et qu’ils ne vous balayent pas ? Mais comment effacerai-je de ma mémoire ces moments-là ? Quand sommes-nous affranchis ? Je me suis cogné la tête, je suis sorti crier. Aller en tous sens puisque rien n’en avait plus. S’enfoncer un peu dans l’excès. Elle, même elle ! Et moi qui chantai à deux heures du matin, fier d’avoir chamboulé le cours des choses, …pour cette chute-là ! Je pleure sans savoir qui m’a remplacé dans son lit ce soir, dans sa vie demain, comme si cela avait une quelconque importance. Je pleure en silence là où je ne perturberai la nuit de personne. Garder au moins un soupçon de dignité dans le déshonneur. Mais je pleure.

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