§1. Je suis sur l’Alameda et, en dehors de la plaza de la Constitución, la ville ne semble pas avoir connu seul un soubresaut au lendemain de ce si bizarre 29 juin 1973. Elle est toujours aussi sale et comme dans un chantier permanent. Je marche lorsque près de moi je sens sa présence.
— C’est toi ? Enfin ! Je t’avais invoqué le 6 février 1973 juste avant que Gloria n’apparaisse. Et : rien ! Bon, tu es là, je suppose que tu n’as pas tout ton temps à m’accorder, ne faisons pas comme ces professeurs fumistes qui fustigent à longueur de cours le peu de temps qu’on leur donne pour mener à bien leur enseignement, et qui sauvent les apparences de la vacuité de leur spectacle en s’excusant, longuement, de tout ce qu’ils ne pourront pas dire, au lieu de grappiller chaque seconde possible en le faisant ! Au passage, avant que je n’oublie, ça va être difficile pour le lecteur de ne pas lire la colonne de droite, lorsque paraîtra le journal de mon petit-fils, tu ne crois pas ? Comme lorsqu’on connaît un secret et qu’on n’a pas le droit de le révéler et qu’il croustille sur le bout de la langue… Toi qui vois ! J’ai plus important, sur le fond, à te demander et je vais y aller franco avec toi : quand on est composé de tant d’horreurs, on doit aussi faire face à la critique ! C’est le jeu. Donc, sans ambages : quel héroïsme te pousse à t’attaquer aux idoles des bienpensants en me laissant la parole ? Certes, t’en prendre à Allende c’est encore assez original, notamment en Europe (au Chili ils sont plus informés, moins dupes), mais quand même il va falloir être réaliste : tu vas avoir besoin de ces gens-là, et tu sais, toi comme moi, que la tolérance pour eux est un concept aussi vide que celui de Dieu auquel ils se font fort de clamer qu’ils ne croient pas, eux, on ne la leur fait pas, en libres penseurs qu’ils sont… Et s’ils te nuisent cela aura des conséquences… Tu as bien des proches qui vont te réclamer du confort, de la sécurité, leurs petites vacances… Enfin, quand bien même tu te nourrirais assez avec ton propre narcissisme virtuel, il faut y penser ! Et puis c’est inutile, ce combat : pour un mythe que vous écornez, ce sont deux autres qui sont fabriqués par la machine à manichéismes arrangeants. C’est comme une hydre ! Alors à quoi bon alors jouer les Quijote ? C’est ingrat et fragile, en plus, cette position, tu le sais bien. Il y aura toujours des petits « jeunes peignes-culs qui [v]ous montrent leur derrière » en sortant de chez la Montalant, tu connais la chanson, qui ont besoin de faire carrière et n’ont rien d’autre à faire pour le moment que de souligner nos contradictions, de remarquer que tu n’es pas si cohérent que ça, que, eux, t’ont mieux compris que toi-même, qu’ils vont faire du super-toi-même, et qu’il faut donc les écouter eux, maintenant… C’est mal payé l’honnêteté, qui l’ignore encore ? Et puis s’aventurer sur le terrain politique revient à mettre le pied sur des sables mouvants où les besoins tactiques conduisent les alliances à se faire et se défaire, sans toujours de grande rationalité si on y regarde à moyen terme, si bien qu’aucun appui ne vous est acquis, aucune bassesse ou lâcheté ne vous est épargnée (surtout pas les siennes), et quiconque regarde un peu, une fois estompée la fumée de ses hauts-le-cœur et de ses réprobations morales, en comprend le caractère inéluctable et nécessaire. Je te devine assez : enfantillages, sensibilité, et peut-être même connerie (oui, il n’y a pas d’autre mot), te caractérisent, non ? Ceci fait que te ne devais pas savoir te satisfaire du salaire de la bassesse, donc ne pas savoir faire tes affaires dans ce milieu. Tu aimes les mots et les dialogues, peut-être même que tu nous aimes, tu vends de l’évasion à peu de frais aux femmes mijotant dans une existence plate, offre-leur ces vraies portes de sortie bénéfiques à l’humanité, sois des jolies histoires d’amour où elles pourront prendre place mentalement, variations inépuisables sur le thème « un jour mon prince viendra » et laisse-les se tripoter gentiment dans les contrées obscures de leurs rêves frustrés d’indécrottables midinettes qu’elles sont, permets-leur de se reconnaître en se retrouvant dans tel ou tel de nous autres (les interlocuteurs préférés de la plupart restent toujours leur miroir, sache le rendre savamment déformant et tu verras que tu obtiendras beaucoup d’elles), use de la corde inépuisable de « l’étude d’une passion – ou d’un conflit de passion, ou d’une absence de passion – dans un milieu donné » sur fond d’événements historiques importants qui ennoblissent un peu l’histoire où tu pourras faire un étalage satisfait de la finesse des analyses que tu nous laisses développer. Coupe les indigestes phrases de Proust, assaisonne-les d’un peu de grossièretés céliniennes et tu pourras te tailler de jolis petits chapitres devant lesquels tu poseras, photos que tu prendras plaisir à afficher à un âge plus avancé pour des éditions papier ronflantes où tu pourras t’étaler ; ne sois pas présomptueux, anticipe ta gâterie, quand tu seras devenu un classique, une Pleïade, un livre à afficher dans sa bibliothèque. Je voulais dire que tu seras gâteux, enfin, gâterie convient aussi, fais-toi donc des gâteries, se masturber n’a jamais tué personne, puis on se connaît mieux, et en littérature il faut savoir se toucher soi-même pour mieux toucher les autres… Sinon, sois des fadaises, ce n’est pas grave, ça a son rôle social. Tu délivrerais pour quelques euros et très peu d’efforts, des certificats pour l’antichambre de l’élitisme, car ces oiseaux que ces oisives épuisées embrassent amoureusement le temps d’un voyage, les distinguent de leurs camarades plongées (et noyées depuis longtemps) dans les fictions télévisuelles faciles à avaler. Elles rapporteront de jolies cartes postales de ce tourisme de masse sur plages balisées, des citations (qui sont la petite bouillie que l’on sert aux aspirants intellectuels de carton-pâte trop paresseux, ou aux édentés de la réflexion, et que les uns et les autres affichent pour montrer qu’ils ont de l’esprit en sachant que les plus naïfs s’y feront avoir),

Citations : condensé d’approximations séductrices pour paresseux impressionnables.

qu’elles consigneront sur leur site Internet, parce que tenir un journal intime et ne pas partager leurs impressions avec la terre entière serait du gâchis ! Tu penses, elles, savent orthographier ‘fadaise’ alors que les balourds ne connaissent même pas le mot, hihi, les ignorants ! Invente des intrigues, des rebondissements, laisse les hommes qui n’ont jamais pu vivre une seule minute la vie d’aventurier qu’ils se fantasmaient plus jeunes le faire un peu par procuration, donne-leur de ces ersatz d’adrénaline entre un rendez-vous professionnel au bureau et les courses à faire au supermarché (on est samedi !). Peuple leur cerveau de guerriers sanguinaires et sans peur, qui leur font oublier qu’en 40 ils auraient fait dans leur froc, comme toi, d’ailleurs, comme moi (je te raconterai un jour comment je le sais), qu’ils se seraient cachés au grand jour, en ne résistant à rien : « il y avait les enfants ». Tout ceci vaut mieux que quelques coups de feu à blanc, et qui, même s’ils tuent un ou deux mensonges, ne te protégeront ni du dégoût, ni de la lassitude, ni de la conscience de ta vanité, je veux dire du caractère vain de tout ça, car toi-même tu te lasseras de jouer l’albatros inadapté au sol où piétinent les simples vivants. Car les Hommes ne cherchent pas la vérité, tu le sais. Face aux flots agités et effrayants des points de vue différents, des mensonges, ils se cherchent une rambarde rassurante qui les emmène sur un chemin funambule au-dessus du vide sidéral de leur pensée ou de la profondeur de leurs doutes. Ils cherchent de la vaseline pour accepter d’être inséré, sans trop se faire mal, dans le monde. Un peu d’égard et qu’on ne leur dise pas trop ouvertement quel type d’esclave ou de prostitué, ils sont. Tu sais bien. Tu les as vus se dandiner, chanter, parader, jouer les importants pour combattre le fascisme ; tu as vu combien il est aisé de séduire les femmes en leur offrant les paroles qu’elles veulent entendre (je me demande souvent si, nous autres mâles, ne sommes pas finalement que des jouets avec lesquels elles se touchent à la troisième personne, pour ne pas reconnaître la chaleur trop familière de leur main) ; tu as vu quelle grandiloquence s’est emparée de l’humanité lorsque des escrocs à chiffres sont venus leur proposer de sauver la Terre, et avec quel zèle ostentatoire les héros se sont engouffrés dans cette transcendance bas de gamme qui leur offrait la part belle ; tu as vu comment la marée impressionnante de ce volontarisme et de ces bonnes intentions a reflué aux rythmes des lois de la lassitude et de la mode, et comment ils vous font remarquer votre grossièreté lorsque vous leur suggérez qu’ils sont infidèles et promptes à oublier leurs serments d’hier, vous regardant, navrés, comme un corniaud qui entreprendrait de faire une critique d’un livre fantastique en remarquant que ce n’est pas réaliste, voulant leur montrer que « ça ne se peut pas ! », ou qui ferait une analyse rationnelle d’une histoire drôle ou d’un conte pour enfants. Non, non, non, laisse-moi aimer Helena (je ne te harcelle même pas avec Tencha, on oublie !) et nous terminons tout ceci en romance parfaite, odieusement interrompue par le coup d’Etat, afin de faire pleurer dans les chaumières. Mettons que son père la fasse enlever le 10 septembre pour la sortir de ma vie, que j’apprenne qu’elle a été mise dans un avion à la Colonie Dignidad et renvoyée en Allemagne, mais que je ne puisse sortir du pays avant le 17. Je t’offre ton tome II qu’en transférant du Chili en Europe te fera évoluer en saga : un homme parti sur les routes à la recherche de la femme qu’il aime ! Toutes les femmes rêveront de cet aventurier qui sait aimer à tout quitter et espéreront secrètement en rencontrer un jour un de cet acabit dans leur vie, qui les poursuive avec autant d’assiduité ; tous les hommes s’identifieront à ce fou capable de tout laisser en plan pour suivre la piste de cette femme digne de ce sacrifice ! Helena, Hélène, ravie par son père comme Parîs séduisit la jeune achéenne blonde (vous pourrez même y refourguer de la psychanalyse de supermarché avec un tel élément, comme vous aimez faire, puisqu’elle est enlevée par son père en quelque sorte !), la guerre de Troie ramenée à des perspectives individualistes. Attendez : il la retrouve des années après, et on apprend, au bout d’années de traque de notre chevalier servant, Lancelot moderne lancé sur les traces de sa Guenièvre, qu’elle a changé, qu’elle s’est remariée et lui reprochera ses dix secondes d’hésitation avant de monter dans la charrette d’infamie, pauvre moi éploré, trahi, perdu, qui décide de s’enfermer dans la solitude. Et au moment où il va partir dans sa retraite, je rencontre un petit orphelin malade qui n’a jamais vu l’Inde d’où il vient. Tome III : le héros erratique, part avec l’enfant dans sa voiture, poursuivi par la police (qui croit à un enlèvement), direction l’Europe de l’Est où ils croisent le malheur des Roms (polémique avec la droite française, offre-toi un peu de caution de gauche), puis le Moyen-Orient où ils doivent devenir des immigrés clandestins traversant l’Iran et le Pakistan incognito (dénonce une dictature, ça fera du bien à ton image ; traite du malaise de ces populations pauvres qui terminent terroristes, c’est profond), malgré la peau trop blanche de l’un et trop noire de l’autre (mais on est tous des êtres humains, et l’humanité n’a pas de couleur, non ?), jusqu’à l’Inde, l’Inde ce sous-continent magnifique et riche d’avenir ! Je rêve déjà de vivre tout ça en toi, que l’on se fasse voyager mutuellement… Tu m’écoutes ? Tu devrais me répondre, au moins quand je te fais exister en parlant moi-même! Même si la mode existentialiste est passée au profit de la nouvelle égérie Michel Foucault, tu me fais trop ressembler au soliloqueur impénitent de La Chute, il restera quelques anciens de la vieille école pour remarquer l’emprunt et te le renvoyer au nez avec l’air satisfait de l’inspecteur qui révèle la machination à la fin du film ! Fais comme tu veux, moi je vais boire un coup – j’ai soif à tant parler ! – au Café Colonia de Huérfanos, qui existera encore en 2023 : ça te ferait des souvenirs pour quand tu reviendras à ton époque ! Enfin, tu ne dis rien, je n’ose pas dire que tu me déçois, mais…

Attention : ne lire la colonne de droite qu’à la toute fin de la lecture, après le prologue !

#1 – De : < Juan < Paris < 2 juillet 2032 <11:23.1

Pourquoi ai-je accepté de consacrer ce livre à Du Bon Côté Du Fusil. Je ne m’en sors pas !! Tu te souviens que j’ai été séduit tout d’abord par l’idée de marquer le coup pour la commémoration des 10 ans de la parution. Tu penses, le petit-fils d’un des protagonistes de l’histoire publiant une étude sur le texte : succès (médiatique) garanti. Et pourtant il suffirait qu’on sorte effectivement une deuxième version du texte pour que ma propre étude soit déjà datée au moment de sa parution ! Quelle imbécillité ! Me voilà dans une concurrence à distance et invisible avec un°e/des auteur°e°s dont on ne sait toujours rien et je me refuse à croire qu’un texte peut-être auto-engendré !

Et je ne peux même pas reculer, puisque nous avons déjà dépensé l’avance qu’on m’a donnée. Il faut donc aller de l’avant :

… avancer dans la vie en brûlant tous les ponts que j’aurais à franchir, pour empêcher toute tentation de retraite, et s’il faut revenir aux mêmes endroits que ce soit par des routes différentes ! [1. V §37]

Je suis bien le petit-fils de mon grand-père, même si je ne l’ai jamais vu et que mon père ne m’en a jamais parlé, ne le connaissant que par ce qu’il a écrit. Comme quoi, les gênes, sans doute…

Puis en réfléchissant à ce projet, je trouve quand même que ce n’est pas très valeureux pour moi de n’exister médiatiquement qu’en suivant le sillon de mon grand-père. Je pensai que cette étude m’aiderait à promouvoir mes propres films, qu’après tout, la reconnaissance étant le fruit de tellement d’aléatoire et de capricieux, je n’avais pas à rechigner à user de ce petit coup de pouce de la vie. Mais en réfléchissant plus, en creusant au fond de moi, je ne suis pas si sûr… Crois-tu que je sois en train de me plier à un déterminisme familial ? Ma mère ne m’a jamais vraiment expliqué pourquoi ils m’avaient appelé Juan, moi aussi. Quelle drôle d’idée, tu ne trouves pas ? Quand tu penses que, d’une part, ma mère a aimé mon grand-père avant d’épouser mon père, et que d’autre part mon père a eu ce rapport conflictuel avec son propre père, m’appeler Juan moi-même… Et ce alors que le prénom de mon grand-père était lui-même en débat dans le dialogue houleux qu’il a pu avoir avec mon arrière-grand père, LLuís :

Julien Sorel si vous voulez, j’accepte la filiation littéraire avec ce grand écrivain qu’est Stendhal, mais me traiter de Don Juan : quelle niaiserie ! Je vous croyais plus cultivé, moins dupe, moins berné par les évidences (ces attrape-nigauds faciles) pour vous laisser vous vautrer dans cette facilité au simple prétexte que je partage le prénom du séducteur multiséculaire… Savez-vous d’ailleurs de qui je le tiens ? (J’espère que vous savez, entre nous…) Faut-il bien y réfléchir, n’est-ce pas ?, lorsqu’on attribue un prénom à un petit chieur dont on ne peut deviner ce qu’il va devenir, quel modèle conscient ou inconscient, qu’il va se choisir une fois que son horizon s’étendra au-delà du cercle familial. Je frissonne à l’idée de qui j’aurais pu être, si le prénom est si déterminant dans le choix de sa propre personnalité, si vous m’aviez dénommé Adolphe ou Salvador… 

[1. IX §29]2

Moi-même avec mon prénom, ils auraient voulu que je sois fou qu’ils ne s’y seraient pas mieux pris ! Peut-être est-ce ça aussi qui a causé leur séparation. Ils ont certainement joué un jeu dangereux pour l’un comme pour l’autre et n’y ont pas résisté. Les pauvres, eux qui devaient être « le happy end qui sauve l’histoire » [4. X 11]. Je n’ai jamais pu en parler avec mon père avant sa mort. J’avais 8 ans, je ne me posais pas toutes ces questions. Est-ce qu’un enfant sain pense à cet âge-là à la mort de ses parents, et à la nécessité de les interroger avant que leurs souvenirs s’éteignent avec eux ? Ma mère va sur ses 70 ans et m’a toujours refusé de parler de sa jeunesse, de son amour pour mon grand-père, du livre qu’elle devait écrire (ou a écrit, je n’en sais rien, d’ailleurs ; ce fameux Femmes s’écrivant, que mon grand-père et elle ébauchent en DBCD, 1. V §1), comme cette histoire n’appartenait qu’à elle et que je n’avais rien à y faire. Et pourtant, j’en suis aussi un protagoniste, non ?Ai-je bien fait de respecter son droit au silence ? Est-il encore temps de la sommer de me parler, de violer sa volonté, de lui forcer la parole ? Peut-être est-ce mon droit de savoir… quel droit les enfants ont-ils sur l’histoire de leur parents… Peut-être sais-je tout le factuel, et, pour ce qui est de l’ordre de son ressenti, n’ai-je aucun droit là-dess(o)us ?

Enfin, tu me vois bien perdu, même si Paris est agréable en cet été européen. Je suis désolé de te laisser au Chili dans cet hiver si rude… L’éloignement me rapproche bizarrement de toi, nous parlons trop peu ces derniers temps à Santiago…

Ici, Cloé est très agréable et cultivée. Elle m’a montré hier soir où se trouve le petit cinéma où nous avions vu ce film immersif si bizarre avec les odeurs chimiques étonnantes. La prochaine fois que tu m’accompagneras à Paris nous retournerons, si tu veux. Cette partenaire hebdomadaire a un magnifique tatouage phosphorescent avec lequel j’aime jouer la nuit. Il faut absolument que tu rencontres cette fille, vous vous entendriez beaucoup ! Je crois que son partenaire géniteur doit aussi être très bien, de ce que je sais de lui. Je pense, d’ailleurs, ne passer plus que par le réseau L-i-n-k, pour mes voyages en Europe, je n’ai jamais (encore) été déçu. Peut-être aussi – et que m’importe la vague du détatouage des vieux gribouillages des années 2010 – envisagerai-je de m’en faire un phosphorescent en rentrant chez nous. Je te montrerai de nombreux sites où on peut en voir de magnifique.

J’ai découvert aussi de superbes créateurs de compositions capillaires éphémères que tu peux garder quelques années seulement. Je te vois bien avec un scapulaire rouge qui commencerait à la hauteur des oreilles. Sur tes cheveux noirs ça irait très bien. On en parlera à mon retour. J’ai hâte. Je te désire plus que les autres !


#2 – De : < Juan < Paris < 5 juillet 2032 <22:53.

Ma licorne,

J’ai passé une journée pétillante à Paris. La ville souterraine est extraordinaire, et au moins j’ai échappé à la chaleur de la surface. Le complexe de Beaubourg sera apparemment exaltant ! J’ai mangé avec un émotiveur très intéressant dans un restaurant traversé par la ligne 4 du côté de Château Rouge, toujours aussi bourgeois. Tiens au fait, il y a maintenant des fast-foods qui te permettent de récupérer ta nourriture directement à l’arrêt d’une station sans sortir du wagon, le premier (obligatoirement) dans la rame de métro. C’est pratique. Et certaines enseignes commerciales vont même livrer des valises roulantes dans certaines stations, désormais : la vieille Europe va enfin rattraper son retard sur nous en la matière ! Il était temps !

Sinon, je n’arrive pas à retrouver les personnes qui ont ouvert les colis du tapuscrit il y a neuf ans maintenant, chez Gallimard et Grasset, afin de recueillir leurs éventuelles anecdotes. Je ne sais pas si ça vaut le coup de les interroger, en plus, et si je ne perds pas mon temps avec ça, mais bon, ce serait chouette, pour avoir du matériel original.

Je reste donc avec la seule interview de l’éditeur inconnu de la micro-édition papier, qui accepta, malgré toutes les mises en garde des experts en marketing, non seulement de ne pas mettre d’images de couverture au livre, mais d’accepter le principe de la double couverture inversée, de manière à ce que le lecteur ait à imaginer ces deux hommes qui le tiennent en joue avec leur fusil.

« J’acceptais l’idée que nous ne sacrifierions rien à l’image ; que si, images il devait y avoir cela resterait celles, historiques et artistiques qu’on pouvait voir sur le site Internet. Ou éventuellement une adaptation cinéma-tographique qui serait complémentaire du livre (sans jamais n’avoir la prétention de s’y substituer). Ainsi, y compris dans ses couvertures, et même si le lecteur ne prenait pas la peine de personnaliser le texte comme il y était invité, aucun exemplaire ne serait identique entre deux lecteurs. »

Et toi ? Tu ne m’as toujours rien dit sur ton travail : j’espère que tu n’es pas en train de laisser tomber l’étude sur Dist#rbio. Rassure-moi s’il te plait, elle promet d’être belle !

Je te désire plus que les autres,

juaN

PS : J’ai avancé sur la connexion française de Dist#rbio. Des sources plus ou moins fiables, voient dans le collectif invisible expLICIT, les auteurs spirituels de « Puisque vous vouliez tout savoir », cette performance où, sur 500 jeunes gens partis à l’assaut de l’Assemblée nationale française, un peu plus de la moitié a réussi à s’introduire, venant s’accoupler, se masturber ou uriner dans l’hémicycle, tout en jetant tous les papiers à portée de main, et qui a eu lieu, comme tout le monde s’en souvient, en mars 2021, pour protester contre la Loi d’Intervention Contre l’Impunité Terroriste (LICIT).

Bandes sonores

Jacques Brel, « Les bourgeois »

Infected Mushroom – “Becoming Insane”

Notes

  1. Toutes les retranscriptions écrites des messages cérébraux ont été publiées avec accord des receveurs.
  2. juaN cite ma version 2018.

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