Il faut que je continue à écrire peut-être est-ce la clef du sommeil.

Il faut que je raconte qu’en février 1971, alors que les prisonniers politiques de la Gauche prolétarienne faisaient une grève de la fin, je me demandais moi-même s’il fallait que j’y participe ou pas. Avais-je à singer leurs pratiques ? « Je ne suis même pas des leurs », me disais-je avec une pointe d’amertume. Pas vraiment des leurs. Et n’était-ce pas, avec du recul une revendication de petits bourgeois que d’arrêter de s’alimenter pour être considérés comme des détenus de “première classe”, être rassemblés et ne pas être mêlés aux autres alors qu’ils auraient dû pourtant chercher à le faire, profiter de leur enfermement aux côtés de gens dépourvus d’éducation et parfois de conscience politique (ou sinon engoncés dans la “mauvaise conscience”, pour leur enseigner ce qu’ils savent ? « Nous ne sommes pas différents », disait Michel [Le Bris]…

Je viens de remarquer mon lapsus : « grève de la fin »… Est-il si vide de sens que ça ? N’ont-ils pas fait des grèves pour la fin de la raison de faire des grèves – comme la première guerre devait être la « der des ders », la grande, la finale ? –pour en définitive les reconduire, toujours ? Etait-ce, en France, en Mai, une grève de la “fin” au sens de finalité, c’est-à-dire grève pour le droit au sens de son existence, manifestation de son envie de vivre au-delà de tout le reste, mots et gestes ? Il faudrait que mon témoignage de la grandeur de leur engagement soit à la hauteur de celui-ci. Mais je n’ai pas les mots qu’ils ont ou auront lorsque sera arrivé le jour de tout raconter. Lorsque ceci sera déjà de l’histoire à conserver dans les mémoires. Des archives. Comme acte fondateur de cette utopie finalement réalisée ou comme souvenir d’une semence qui n’a pas pris ? …mais qui pourrait prendre si… et qu’il faut conserver comme un trésor, en tout cas. Mes yeux se ferment, mon pari du très court terme est peut-être déjà relevé : ces réflexions ont achevé mon insomnie.