Seulement, pour en revenir à cette journée, dix mois plus tard, que je vis au présent, et à mes problèmes actuels à court terme : qu’aurais-je pu faire de mon temps, que je devrais racheter demain ? Je suis sorti de ma geôle, je suis “retourné” dans la ville, et j’ai enfin vécu à nouveau mes premiers instants d’homme libre… Quoi d’autre ? Demain je téléphonerai, j’irai peut-être les voir s’ils sont là et s’ils le veulent bien. Bien sûr qu’ils sont là, bien sûr qu’ils le veulent ! Tous mes compagnons de geôle n’avaient pas cette chance de savoir où aller en sortant, je dois en profiter. Mais j’ai peur, c’est vrai. De honte. Je voudrais trouver n’importe quelle excuse pour ne pas avoir à les revoir, bien qu’ils me manquent. Je me dis parfois qu’ils ne souhaitent plus que je vienne piétiner leur vie, mais je sais bien que c’est absurde, ce n’est qu’un voile de mauvaise foi qui se brise d’une seule petite pichenette de raison. J’ai peur car j’ai honte, terriblement honte, comme jamais avant, ni durant le procès où d’autres avaient le monopole de l’attention, ni durant les années de prison où loin d’eux je jouissais d’un sursis. Demain je serai une nouvelle fois face à mon acte, je le sais, et n’aurai aucune voie pour m’échapper…
Ensuite je chercherai un emploi pour reconstruire ma vie… Peut-être loin de Paris où trop de souvenirs sont accrochés. Il faut que je dorme pourtant. On ne peut rien changer, il faut accepter, je dois y aller, ils doivent savoir que je suis sorti et s’inquiéter encore, je leur fais mal, toujours, alors puisque cela doit être fait, autant le faire en forme et dormir.
Mais arrive donc sommeil ! Je suis vanné, je n’en peux plus. Dors ! Dors ! Dors, merde ! Je vais ouvrir la fenêtre pour immerger la chambre dans les bruits citadins qui me berceront, respirer encore de cette nouvelle liberté et absorber en dormant tout ce que je peux. Me fondre ici et n’être plus étranger sur mes terres, introduire le froid de la nuit profonde, me nourrir des incursions astrales, entresol entre le noir et l’aveuglante clarté de demain, demain s’il veut bien venir plus vi…