C’est impressionnant de voir combien cette nouvelle a ouvert le monde sous mes pieds et me fait perdre le peu de solidité qui me tenait debout. Et pourquoi je ne m’effondre pas alors ? Peut-être quand le malheur est arrivé à son comble, la révolte n’a même plus de forces. Tout ce qui poussait l’homme disparaît et ne reste de lui qu’une épave, non pas chair meurtrie sanguinolente et imbécile, mais saine et pourtant tout autant imbécile.

Mon trouble se consomme. Je ne suis plus personne, même pas pour moi. Je me suis réveillé il y a quelques jours dans un hôtel et j’ai vécu avec de vagues images qui seraient, paraît-il, mon passé. Mais me voilà face à des souvenirs que je ne connais plus. Elles sont comme d’une paternité que je ne reconnaîtrais pas, n’y trouvant rien de ressemblant. Je me suis étranger, je n’ai plus de fil conducteur…

Pourtant subsiste quelque chose malgré tout, je peux me toucher, voir, sentir cet air, j’ai faim même. Et si m’étant mentalement suicidé, un nouvel être prenait la place du défunt ? Il ne vivrait plus alors dans le même monde que l’autre mais serait bien plus grand : il serait le maître. Oui, c’est cela ! Allez tue l’ancien ! Que le nouveau règne d’un nouvel homme s’installe sur la dépouille d’un raté. Abandonne toutes les dettes de l’autre et renait dans la pureté et l’innocence, arrête de traîner ce boulet moral qui résiste aux barrières et au temps…

Perdu, je me retourne sur moi-même et regarde dans le vide. Je suis sur une place, je marchais en pensant (ou l’inverse ?). Mon regard accroche un objet mouvant, sonore, étant lui-même profondeur et nouvelle naissance. Je cours jusqu’à cette fontaine et me jette dedans. Je reste au fond jusqu’à ce que ma respiration ne me le permette plus : un meurtre.

Puis je sors de l’eau. La première image que le nouveau-né peut découvrir, est une tête d’homme âgé qui, perplexe, n’ose dire un mot. Il fait nuit noire.

— Je pensais que vous vouliez…

— Ne craignez pas pour lui, il repose enfin en paix. A vous, je peux le dire mais ne le répétez pas, il n’est pas bon de parler des morts quand ils ne peuvent plus se défendre, même si ce n’était pas un ange, ou du moins s’était-il écarté du droit chemin.

— Je ne comprends pas bien.

— Moi, je nais et selon la tradition il me faudrait un parrain. Pourrais-je vous demander d’accepter de le devenir ?

Je sors du bassin d’eau, j’ai froid à un tel point que je suis secoué de bas en haut dans mon grelottement.

— Et voici ma mère, lui dis-je en montrant la fontaine du doigt.

— Votre mère ? Vous êtes pitoyable. Vous …n’allez pas très bien.

— Non, je suis un nouvel homme, je ne suis rien encore, pitoyable c’est fini.

— Vous n’allez vraiment pas très bien.

— Je ne fais qu’éprouver l’arrachement du nouveau-né.

— Il faut rentrer chez vous, jeune homme, vous allez attraper froid. Votre petit jeu…

— Cela dit je vais mieux. J’ai une petite expérience. Je…