Comme un jour à l’église alors que je m’enfonçais dans ma chasse à la recherche du sens, cette question éclata : qu’est-ce que le Divin ?

J’ai senti mes yeux s’ouvrir, j’avais besoin de voir le monde autour de moi, aussi intensément que le besoin de respirer ; il me semblait que je naissais d’un coup, que j’étais éjecté d’une gangue invisible et que, pour la première fois, je me trouvais au contact du monde. Alors ma vue se brouilla et je rencontrai la terre. Puis une pierre, une succession de corps inertes et un arbre dont le trajet du tronc aux branches m’amenèrent vers le ciel, où souvent l’on cherche la transcendance et l’absolu, dans le besoin de représentation spatiale d’une abstraction. Pourtant de ces murs dédiés à la consécration, un savant ignorant la spiritualité locale en sortirait en croyant que l’objet des chants chargés d’un affectif communiant, de la spectaculaire du rite et de l’édification, se trouvait dans les chaussures de son voisin de devant autant qu’incrusté dans le plafond. J’ai regardé ces gens, mes voisins de droite, de gauche, partout autour de moi. Je me suis dit : dans leur relation au divin les hommes s’indiquent les uns les autres comment ils aimeraient qu’on agissent avec eux ; l’amour fraternel, ce sont des hommes qui n’osent pas se dire des choses en face. Un peu comme la prétérition des personnages de comédie qui s’expriment à des interlocuteurs virtuels pour mieux faire passer leur message à celui, bien réel, qui les entend. Comme l’inverse d’un bouc émissaire, un palliatif nécessaire, une médiation, un transfert, un concept muet qui aurait pour fonction de réclamer de l’amour, pourquoi les hommes ne se regardent pas dans les yeux ?

Qu’est-ce que le Divin ? Je fis l’effort de « voir » enfin le vide dans l’air qui m’entourait, de tracer des lignes droites pour relier tous les objets qui environnaient mon corps, d’en peser tout l’éloignement, de m’extraire de toute cette pâte et d’affronter ma solitude, ma souffrance, ma peur, puis lentement de les dresser. Qu’est-ce que le divin ? Je me vis chanter en enfance dans un chœur, pétri de joie, des fils unissant chaque voix, formant ensemble le Tout, l’esprit de corps, l’unification dans la joie, ou le Parti ou l’Idée ou l’Eglise, sans que n’en change l’intensité des battements de mon cœur, cette impression titubante de tout contenir tout en étant contenu moi-même, la dissolution de mon individualité dans l’élan vers le sacré, cette heureuse appartenance à la lumière et au progrès. Mais partout l’homme fait une coupable concurrence à ce qui le supporte ou l’écrase, et le voilà qui réclame le monopole ; écoute donc le crépitement des bûchers, la pelletée des charniers, ne parlent-ils pas la même langue ? Ne participent-ils pas à la même marche ? Quelle utilité du Divin sinon de me sortir du quotidien, de me mettre à l’écoute de l’invisible, du transcendant, de me sortir de l’utile pour atteindre la profondeur de la réalité, n’est-ce pas une marque sur une porte qui m’indique qu’ici il faut entrer ?

Qu’est-ce que le Divin ? Un écho. Mais qui a crié et que j’entends ? Est-ce un appel lointain qui s’infuse dans l’air ? Qui a crié sinon la chair hurlante ? Qui a crié sinon moi ?

Je suis entré peut-être, pour ressortir sans doute, de la même manière que j’avais refusé d’être Juif comme les Allemands étaient Aryens : le sang n’a pas de sens, et l’appartenance, la foi, doivent faire l’objet d’une élection, d’une adhésion, d’un engagement volontaire ! Mais on n’est pas enchainé à ses choix. Alors, comme un objet rompu que nous avons jeté et dont l’absence ne nous manque même pas, je suis sorti de l’Eglise, sans bruit, comme on se réveille d’un sommeil.