4. Moi, Juan, je me promène avec mon amie, ma complice, l’œil légèrement attentif à l’heure pour ne pas se faire avoir par le couvre-feu.

— Qu’est-ce que tu vas faire ? — lui demandé-je.

— Je vais quitter le pays. Pour la Suisse, il ne se passera rien là-bas. Et toi ?

— L’Australie, pour les mêmes raisons.

— On ne se verra plus, alors ?

— Ça va être plus compliqué qu’avant, lorsque nous vivions tous les deux à Santiago.

Elle me regarde d’un ait triste avec un petit hochement de tête. Appelle un taxi qui arrive à quelques mètres.

— Les adieux c’est nul.

— Alors je viendrai te voir en Suisse, personne ne dit que l’Australie ne me lasse pas…

— En Suisse, alors. Contacte l’ambassade d’Italie.

— Tu es Italienne ?

— Oui.

— Oh ! Je te croyais Chilienne !

— Tu crois plein de choses, Juan. Tu vis dans ton monde, parfois…

— Sans doute. Et comment te retrouverai-je ?

— Décris-leur qui je suis…

— Je sais peu de choses, en fait…

5. Le taxi s’arrête à notre niveau.

— En effet, tu ne sais rien de moi. Tu ne sais même pas mon prénom… tu t’en rends compte à présent ? Il est trop tard pour combler toutes ces lacunes.

— C’est que ça n’avait pas d’importance. Je prenais plaisir à être à tes côtés sans connaître ton état civil, j’aimais ce que tu es, là dans l’instant…

— Mais dis-moi, quand même, tu as vraiment cru pendant tout ce temps que j’étais une prostituée ?

— Ce n’est pas le cas ?

— Bien sûr que non, crétin ! Si tu ne l’avais pas cru peut-être m’aurais-tu plus regardée…

Et la porte du taxi se referme sur elle. Elle s’en va alors que je reste hébété sur le trottoir, me demandant qui part, à côté de qui je suis passé. Il est trop tard maintenant pour le savoir, je ne sais même pas où elle habite… Seul un dieu saurait, ou un narrateur omniscient, mais il a disparu, et je n’ai pas son adresse non plus. Combien de mystères entourent ainsi nos vies, combien de rencontres esquissées qui n’ont été que l’ébauche de ce qu’elles auraient pu être, combien de trésors que l’on n’a pas su reconnaître ?

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