§33. « Aujourd’hui notre plus grand ennemi, c’est nous-mêmes… »1 me disait Claudio, l’autre soir au bar, devant un vin de mauvaise qualité que nous tentions de déguster, sans doute en pensant à la conversation que nous avions eue la veille avec Arnaldo. Je me suis répété la phrase plusieurs fois depuis ce jour, tentant de la tourner dans tous les sens, comme le vin dans le verre, en s’imaginant qu’à le tenir comme un aristocrate il en deviendrait meilleur. Nous-mêmes, mais qui est ce nous dont parlait Claudio ? Le général Alberto Bachelet qui a été nommé secrétaire national à la Distribution et à la Commercialisation, il y a cinq jours, fait-il parti de l’UP, comme membre adjuvant, fût-ce à titre provisoire ? Le MIR est persuadé que non, le PC que oui. Les ouvriers du Cordon Cerrillos voisin qui ont dressé hier des barricades pour manifester contre le “Plan Millas”, sont-ils l’avant-garde éclairée de l’UP, des diviseurs de celle-ci ou sont-ils hors UP, comme des adversaires ?

Je suis de nouveau avec Claudio, au même bar, devant peut-être le même mauvais vin, mais auquel je m’habitue peu à peu. La visite de Salvador Allende est encore dans les esprits. Une connaissance de Claudio que je ne connais pas moi-même l’interroge encore sur le sujet :

— Et il est allé voir une performance d’acrobates chinois dans la cantine de l’entreprise, avec l’ambassadeur de Chine,[1]“Con los chinos”, Puro Chile, 20/01/1973, 2 ; Miro Popic, “Violenta y ejemplar autocritica de Allende ante funcionarios et interventores del área social”, Puro Chile, 21/01/1973, 12. non ?

— Oui. C’est ça. Nous en avons profité pour lui rappeler nos problèmes d’approvisionnement, notre volonté de travailler. Le Président sait bien cela, que peut-il faire…

Moi ça me fait bizarre et plaisir que notre Président soit venu ici, là, à quelques rues où j’habite, ça me fait chaud au cœur qu’il se soit mêlé au peuple, qu’il ait vu le travail concret des travailleurs. Puis la discussion dérive sur le Plan Prats-Millas. Cette fois-ci c’est moi qui agresse le pauvre Claudio, je ne sais pas comment ça a commencé, et je ne lui voulais pas de mal, mais me voilà en train de lui dire :

— Et qu’il soit débattu au Parlement sans discussion préalable au sein de l’UP, ça ne te choque pas ? Que ce soit le chef des Armées et le gouvernement, en catimini, qui décident, tu ne trouves rien à dire ?

— Pourquoi en discuter avant ? Pour que le PS et les petits partis qui ne servent à rien qu’à créer la division, comme le MAPU ou l’IC, ne nous fassent que perdre du temps et sabotent tout ? Non, non, un moment il faut arrêter et être efficace !

Note

  1. « Le manque de ligne stratégique unique et cohérente nuisait à la gauche, puisqu’elle était divisée en deux schémas politiques, chacun d’eux exigeant une alliance différente, avec des actions tactiques qui s’opposaient l’une à l’autre. » [Israel Zipper 2006, 13].

Références

Références
1 “Con los chinos”, Puro Chile, 20/01/1973, 2 ; Miro Popic, “Violenta y ejemplar autocritica de Allende ante funcionarios et interventores del área social”, Puro Chile, 21/01/1973, 12.

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