§L’ombre de Balmaceda. Je serre la main d’un de ceux qui seront mes collègues, et plus spécifiquement celui qui sera chargé de me montrer ma tâche et l’organisation des laboratoires Geka :

— C’est toi le nouveau ? Le Français ?

— Oui…

— Comment est-ce que tu prononces ton prénom : [jɑn] ?

— Non, [ʒɑ̃].

— Bon je n’y arriverai pas, je vais t’appeler Juan. Comme si tu étais un Chilien.

— Euh, non, je ne préfère pas…

— Tu t’habitueras. Il faut t’intégrer, tu sais. Et t’intégrer aussi chez nous…

— Bienvenue dans cette galère, camarade ! — me glisse un ouvrier qui passait par là.

Mon Premier jour à Geka, donc. Pendant la visite que m’a organisé pendant la journée Alonzo, mon camarade-collègue-instructeur (bientôt à la retraite et que je dois remplacer), j’ai cru comprendre que l’ambiance dans celle-ci est délétère. A un tel point que si je n’avais pas absolument besoin de ce travail pour ma dignité et éponger quelques petites dettes – rien de bien conséquent, mais qu’il ne faut pas laisser enfler au même rythme que l’inflation chilienne sous peine d’être acculé à la banqueroute – je serais parti en courant en ne laissant pour au revoir qu’un « je vous rappellerai » plein d’un toupet que je ne peux me permettre. Bien que je ne sois pas dans un poste d’encadrement j’ai senti la méfiance dans les attitudes des ouvriers, sans doute du fait d’être apparemment étranger (ils pouvaient s’imaginer que je fais partie des « patrons ») et accompagné d’un contremaître.

Je n’ai pas réussi à me passer de mon guide à la pause casse-croute et pendant le repas mangé dans la rue en sa compagnie ainsi que celle de quelques autres, j’ai senti que personne ne parlait franchement. Il me faut évidemment gagner la confiance des uns et des autres, et apprendre avec qui je peux parler ; je n’ai reconnu aucun camarade que j’aurais fréquenté dans le cadre des activités du cordon, et qui m’aurait permis de poser quelques questions en toute franchise.

En sortant, je suis tombé fortuitement sur Agustín qui n’a pas paru tellement étonné lorsque je lui ai annoncé que travaillais désormais à quelques manzanas de là où il habit…ait, puisqu’il a désormais déménagé, m’a-t-il appris, sans que je sache où.

— C’en est totalement terminé de notre ancienne coloc’, non, désormais ? — m’a-t-il lancé, comme un clin d’œil.

Et je rêvais de lui dire que non, qu’il restait notre amour mutuel avec Natalia. Etait-ce ce qu’il voulait aussi me faire dire ?

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