La confiance est dans la poitrine
A la hauteur où l’aube de leurs seins se lève

Paul Eluard, La Vie immédiate, Amoureuses [1951]1

§17. Cela fait deux jours maintenant que nous avons nos habitudes : j’arrive après elle, une fois récupéré le document que je ne peux sortir de la bibliothèque, et m’assois face à elle, près de la fenêtre. Je ne vois que le dos de son amie, pendant qu’elle lit un livre volumineux d’un air concentré, qui s’avère être un livre de Pétrarque. Il n’y a pas beaucoup de monde dans cette bibliothèque et je pourrais très bien me mettre ailleurs où elle ne serait pas dans mon champ de vision. Il me faut donc tenir les rênes de mes regards qui aiment à se perdre comme des caresses silencieuses dans la chevelure claire de cette jeune fille fraiche légèrement cachée derrière de larges lunettes. M’asseoir d’un air entendu, prouvant par tout mon comportement que ma présence ici-même, sur cette chaise précisément, répond à un rite sacré et secret et non pour le seul plaisir de l’admirer à chacune de mes petites pauses dans mon propre travail. Je ne sais pas si je me retournerais sur elle dans la rue, peut-être pour son air altier, sa subtile façon d’être habillée de manière classe sans ressembler aux étudiantes des filières pompeuses, parce qu’elle est petite, parce qu’elle marche dignement lorsqu’elle doit se déplacer dans la pièce pour en sortir et, heureusement !, y revenir, et qu’elle porte sur son visage des traces d’une maturité déjà éclose dans ce corps encore au zénith de ses possibilités. Mais des belles filles de son espèce, ce n’est pas si rare, somme toute. C’est plutôt lorsqu’elle est penchée avec profondeur sur son Pétrarque, parce qu’on l’imagine cherchant des détails dans le texte en latin qu’elle seule peut découvrir, que son visage rayonne d’une clarté nouvelle, celle de l’intelligence mêlée à celle de la passion qui illumine un être et le rend d’une beauté particulière. Eternelle Laure de Noves, aïeule de ce si triste marquis de Sade, qui nous dardez, par votre simple présence, nous autres faibles hommes, de mille piqures dont nous aimerions être protégés…

Référence

  1. Gallimard, coll. nrf/Poésie, 32.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *