§5. En ce jeudi 5 juillet 1973, la grève des mineurs d’El Teniente est enfin terminée depuis trois jours (il aura fallu que le pays frôle le coup d’État pour qu’ils arrêtent leurs bêtises) et Allende, après deux jours de négociations intenses et de rumeurs (retour de l’Armée au gouvernement ? Ouverture à des gens proches de la DC ?), vient d’annoncer son nouveau gouvernement, le septième depuis novembre 1970. L’Armée n’en est pas, mais l’ouverture a bien eu lieu.

Nous vivons des moments contradictoires depuis le Tancazo. D’une part l’Armée a commencé à appliquer la loi sur le contrôle des armes, et lance régulièrement, à l’improviste, des perquisitions musclées dans des usines, des hangars, des maisons, les sièges de partis de gauche sans jamais rien trouver. Mais est-ce là la finalité ou est-ce juste une leçon préparatoire, une démonstration de force ? Puisque, s’ils veulent trouver des armes, il faudrait aller voir du côté des groupes armés de la droite, qui multiplient les actes de terrorisme sans être inquiétés. Faut-il être si sûr de la loyauté de l’Armée, comme nous le demandait le Président le 29 juin ?

Pendant que l’Armée ne trouve rien chez nous, Frei accuse le Président, au nom de toute l’opposition, de pousser à la constitution de milices ouvrières. Ce même Frei, à la tête d’un parti qui est censé négocier un accord avec l’UP, maintenant qu’Allende a fait un pas vers le centre-droit dans son nouveau gouvernement… Drôle de façon de créer les conditions d’un dialogue apaisé…

Et pourtant il n’a pas totalement tort. Sans doute que s’il y avait des armes ces milices se créeraient. Les slogans scandés en tête de manifestations, dans les rues, lancés par des jeunes casqués armés de simples barres de fer, en attestent. On en parle dans le cordon Vicuña Mackenna, ailleurs aussi je suppose. Mais il n’y a rien – des bâtons, des pierres, des puits d’énergie sans outils adéquats pour lutter contre une Armée régulière… et quand bien même ce ne serait qu’une demi-Armée en face de nous, en admettant qu’une partie des soldats comprenne qui sont leurs vrais alliés, du peuple ou des réactionnaires, pourrions-nous les aider vraiment ?

J’ai rencontré un père français, alors que je passai par la población La Victoria et que j’entendai un prêtre parler un très bon espagnol, mais auquel a échappé un cri spontané en français qui a trahi sa provenance. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui parler comme à un compatriote, alors que je suis Chilien de cœur. Nous avons bu le thé ensemble, il m’a montré son travail, m’a parlé de sa vie, j’ai senti une telle grandeur dans le quotidien de son action, une telle charité, un tel amour, une telle humanité, que j’en suis revenu chez moi fortifié. Même mes colocataires m’ont trouvé joyeux, la première fois depuis des jours, les pauvres, ils m’ont connu dans ce moment de tristesse pour moi, je ne dois pas être très drôle.

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