§15. Je ne suis pas sûr que l’avoir invitée chez moi fût une bonne idée, j’ai peur qu’elle me saute dessus et ne veuille me redire son amour pour moi. Je reste donc sur la réserve. Elle est assise sur le canapé, tient ses deux mains l’une contre l’autre sur ses genoux, les jambes serrées et n’ose pas me regarder en face. En même temps cette fille me plait, malgré notre différence d’âge, pourquoi s’arrêter à ça, n’est-ce qu’une convention sociale générale qui trouverait une exception pour nous ? Si elle m’embrasse je l’épouse, mais je ne ferai aucun geste l’y invitant, voilà ma ligne de conduite.

— Juan ?

— Oui ?

Ses lèvres remuent avec hésitation, elle a du mal à les desserrer, je sens son cœur battre d’ici, sans même la toucher, les yeux humidifiés, … son angoisse devient contagieuse. Est-ce grave ? Est-elle malade ? Elle n’a pas le droit de mourir avant moi, avant de terminer son œuvre…

— Je suis avec Nicolas.

— Qui ? Ton petit-copain ?

Je suis soulagé, un orage vient de s’estomper d’un coup de vent subit, et de laisser place au plus doux des soleils.

— Oui. Et votre fils.

Il s’appelle Nicolas ? Comme je suis abasourdi, elle enchaine, pour que je sois KO d’un coup :

— Nous voudrions nous marier.

— Comment le connais-tu ?

— Il m’a contacté lorsqu’il a vu que nous nous connaissions, et qu’il vous cherchait. Nous avons sympathisé. Mais m’a fait promettre de ne pas vous le dire.

— Depuis quand le connais-tu ?

— Depuis janvier.

— Et toi tu ne m’as rien dit… Tu es admirable !

Elle s’enfonce les ongles dans la paume des mains avec une telle force que j’ai envie de les lui prendre pour qu’elle arrête de se mutiler de la sorte.

— Vous n’êtes pas fâché ?

— Mais c’est formidable, Luz ! Il te méritait sûrement. Vous deviez vous rencontrer, et peut-être que je sois le nœud de cette liaison était ma justification sur Terre ! La raison de mon passage.

Voilà que je deviens mystique et fataliste, c’est n’importe quoi le romantisme ! En plus j’ai les larmes à l’œil, comme un petit enfant. Je la regarde pourtant d’un coup avec sévérité :

— Peut-être étais-je injuste avec lui, et l’ai rejeté parce qu’il venait me parler de mes gênes alors qu’il aurait dû me parler de son caractère que nous avons en commun… peut-être via les gênes, d’ailleurs, enfin, qu’importe. Tout mon fils qu’il soit, je te préviens que s’il t’empêche de te réaliser dans ce que tu portes en toi de plus grand, ton livre, ton futur mari termine accidentellement dans le fond d’un canal et je viens faire son éloge à ses funérailles…

— Ce n’est peut-être pas lui qui va me retarder, il m’a même aidé autant que vous, ces derniers temps, lorsque vous étiez à Paris…

— Le petit con ! — souris-je.

Aurais-je fait une grande erreur ?

— … mais l’enfant que j’attends de lui.

Et merde. Celui-là n’est pas noyable et est innocent de toute façon.

— Luz, construis tout ceci, c’est fabuleux, mais ne te perds pas en route… s’il te plait, ne te perds pas…

(Plus tard.)

J’espère qu’il est chez lui ce soir…

– Allo, est-ce que Jean est là ?, por favor.

Gracias.
 
(Attente)
 
Jean ? C’est Juan à l’appareil.
Oui, ça va, non rien de grave mais ça va te fâcher : tu te souviens de Caszely qui voulait rester au Chili pour aider le foot chilien populaire, et tutti quanti ?
Il a été vendu pour 130 millions de dollars à Levante, en Espagne.

Et il me raccroche au nez.

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