§8. J’ai le dernier Tarea Urgente, sorti aujourd’hui, presque encore chaud dans la poche. S’il avait paru hier soir je n’aurais pas eu le temps de le lire, car, à la sortie du travail, après un nouveau débat sur les mesures de défenses et d’armement du peuple, j’ai couru pour me rendre à la Catedral. Le Cardinal Raúl Silva Henríquez, clôturait sa campagne pour la paix par une grande messe. Au milieu des chants et de l’homélie, je n’ai pu m’empêcher d’avoir une pensée pour ce camarade rencontré avant-hier, le 19, dans les affrontements avec les carabiniers, et qui bien que boiteux était parmi nous dans la lutte et se signait à chaque fois qu’il fallait reculer rapidement. J’ai été touché par la force de son calme, par la beauté de l’amour qui émanait de lui, de la puissance qu’il semblait tirer de son infirmité-même. J’en ai été ému. Vraiment. J’ai pensé à Natalia, évidemment, au mal qu’elle doit ressentir au fond d’elle, d’avoir été dans le péché en faisant souffrir, en mentant et blessant son entourage, même au-delà de ma personne. Elle peut sans doute enterrer sa mauvaise conscience sous le fard de l’orgueil mais je sais – j’en suis sûr, je l’ai vue mère et aimante – que ses défenses se fissureront et qu’elle ne pourra se sentir à l’aise dans une peau souillée. Ce n’est pas le trompé qui est le plus malheureux dans cette relation de tristesse. J’ai pensé à la difficulté de la tâche qui m’attend à défendre la paix et la non-violence, celle que je suis venu chercher au Chili, au milieu de ces travailleurs qui n’ont que la hantise de ne pas être armés lorsque les militaires viendront non plus chercher des armes mais les empêcher de défendre le président élu. Ma position paraît bien difficile, sinon utopique ; mais n’est-ce pas cette folie qu’enseignent les Evangiles, de croire en l’homme, toujours ? Et de laisser la pierre au sol pour préférer y écrire des mots d’amour fraternel, aussi fragiles soient-ils.

Alors Juan peut toujours faire le mariole et prendre des poses d’intellectuel revenu de tout, lorsqu’aujourd’hui, Patricio Aylwin et Osvaldo Olguín,1 sont venus publiquement rencontrer Allende à la Moneda pour discuter les bases d’un accord, on peut quand même penser que la médiation de l’Eglise n’est pas totalement étrangère à tout ceci.

Sinon je note tout de même que les tâches urgentes sont:

  1. Commémorer le 26 juillet (assaut de la caserne de la Moncada par Castro, à Cuba)
  2. Rester vigilant contre la création de cordons parallèles
  3. Défendre les entreprises conquises lors du Tancazo

Note

  1. Deux des membres les plus importants du Parti Démocrate Chrétien. [Note d’un historien spécialisé dans l’histoire du Chili du XXsiècle]

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