§10. J’ai peu et mal dormi cette nuit. Difficile de chasser la colère et l’indignation. Lucía qui m’écoutait sans m’émouvoir, me demandant seulement si Prats était fini… Il est 8h, je suis à l’heure. Non, Prats n’est pas « fini », ma chère femme qui ne respectez rien, et je vais l’aider à laver cet affront intolérable et méprisable.

— Vous êtes sûr mon général ?

— Oui, je vais prendre une fois de plus sur moi. Il en va de choses qui nous dépassent… Nous ne pouvons pas continuer à nous prétendre une Armée si nous sommes divisés. Que les maris de notre coryphée épistolaire affirment leur solidarité à mon encontre et je saurais m’arranger avec ma mémoire pour effacer ça. Nous ne devons pas perdre la face en perdant notre unité.

— Bien, mon général. Je vais m’atteler à obtenir ce texte de soutien.

Pour cela, Pinochet réunit tous les généraux de l’Armée de Terre dans la matinée. Etrange réunion. Il rappela les événements honteux qui avaient eu lieu la veille. On commença ensuite par évoquer un communiqué de presse où seraient résumés les faits, accusant étrangement les forces de l’ordre d’être la cause des débordements. Deux généraux rajoutèrent qu’il faudrait un mot de solidarité envers leur Commandant. Pinochet appuya la demande, conformément à la mission que lui avait donné plus tôt son supérieur.

— Vous n’y pensez pas ? Et que va dire ma femme ? — objecta le général Vivero.

Chahut général que Pinochet rompit en ordonnant qu’on parle comme à l’accoutumée par ordre d’ancienneté. A son tour Sepúlveda déclara :

— Ce qui s’est passé hier a créé un précédent inqualifiable. Je ne veux pas me voir exposé à ce qu’un jour les épouses d’officiers et de sous-officiers d’une de vos unités adoptent des attitudes similaires en face de la maison d’aucun d’entre vous ou d’un commandant de régiment sous ses ordres, car il n’y aurait raison morale de prendre des mesures face à un événement de cette nature qui rompt l’autorité de commandement, après ce que vous avez fait hier.

Se levant, il déposa une lettre de démission au général Pinochet. Les toisant avec mépris, Pickering tendit à son tour sa lettre de démission, ajoutant :

— Je ne veux pas rester une minute de plus dans ce corps d’Armée.

Brady et Alvarez promirent d’en faire autant, suivis par Benavides. Et Contreras.

— Vous ne pouvez pas détruire le Corps de généraux ! Non ! — s’exclama Bonilla.

— C’est déjà fait, et nous n’avons pas causé cela !

— N’est-ce pas plutôt que vous êtes piqués d’orgueil parce que nos femmes n’ont ni invité ni consulté les vôtres ? — repris Bonilla avec un rictus de défi.

Le brouhaha qui s’ensuivit ne permit pas de mener à quoi que ce soit de constructif.

Il est midi, ce n’est plus la peine de différer.

— Mon général… je suis désolé, je n’ai pas réussi. Seule une minorité de généraux acceptent de signer un acte de solidarité… Vous devriez parler avec eux…

Soit.

13h. 22 généraux dans la même salle. Prats à leur tête, qui fut à l’initiative de la réunion. Il prit la parole et réitéra sa demande aux généraux les yeux dans les yeux.

— Je n’ai absolument pas menacé le général Leigh de le renvoyer s’il ne mettait pas fin à la mutinerie de Ruiz. Je lui ai laissé au contraire toutes latitudes pour agir, comme l’Armée de Terre a géré sa crise lorsque le Bataillon de Blindé n°2 s’est lancé dans une aventure déraisonnable. Vous êtes expérimentés et sages, ne soyez pas dupes de ce qu’on vous raconte. Ne perdons pas notre temps non plus en palabres, nous ne sommes pas le Congrès. Nous avons tous des affaires urgentes à traiter. Je vous donne donc encore 24h pour me signifier virilement votre appui, et que nous puissions le diffuser pour montrer une image unie au peuple, qui en a bien besoin. Il ne s’agit pas de sauver le général Carlos Prats, qui est une dérisoire pierre dans l’édification du pays que nous servons et aimons. Il s’agit de lui, ce Chili à qui nous avons consacré nos vies en jurant sous sa bannière tricolore. Nous sommes peut-être ses derniers remparts dans ces temps de crises, ne l’oubliez pas. L’un d’entre vous veut dire quelque chose ?

Il ne reçut pour toute réponse qu’un mutisme collectif. Considérant qu’il avait dit ce qu’il avait à dire, il se retira laissant Pinochet seul avec ses hommes.

— Je suis profondément indigné de ce qui arrive. Tout ceci ne pourra se terminer sans sanctions contre ceux qui ont laissé faire cette ignominie. Cet affront se lavera avec du sang de général ! Et pour commencer je vais notifier la mise à la retraite de trois généraux dont les épouses étaient hier où elles ne devaient pas être — promit le nouvel homme fort.

Arellano pensa que Souper avait été bien naïf : « provoquer un acte scandaleux pour que les plus légalistes partent et nous laissent seuls dans la place, n’est-ce pas plus habile que de tenter un grossier coup de force dans des tanks ? Nous ne sommes pas encore au pouvoir que déjà nous commençons à devenir plus rusés que les renards du Congrès. Sans doute n’aurons-nous pas besoin du Parti National pour gouverner… »

Le soir, le Président de la République invita chez lui, à Tomás Moro, le général Prats et les généraux qui ne l’avaient pas trahi : Pinochet, Urbina, R. González, Valenzuela, Sepúlveda, Pickering, Brady, Benavides, Alvarez, Lutz, et Cano.

— Pourquoi cette liste complète ? Faut-il noter quelque chose de particulier ?

— Non, pour qu’on ne les oublie pas. (Vous pourriez indiquer par un moyen quelconque votre intrusion dans la narration, Monsieur. Vous risquez de dérouter le lecteur.)

— (Mais non, s’il a tenu jusqu’ici il sait qu’il doit s’attendre à tout…) Rajoutez-moi Bachelet, le père de la future Présidente de la République, à cette réunion. Et la petite Michelle aussi, dans le roman. Une femme, voyons, future présidente, comment n’y avez-vous pas pensé avant ? Intégrez-la moi ! Trouvez des choses intéressantes à dire sur cette illustre dame, ou des dossiers cachés à ressortir, sur elle ou son père. Pensez à la version chilienne du roman : une petite polémique et la campagne de pub est lancée !

— Il n’y était pas ! Prats n’en parle pas dans ses Mémoires

— Et ? Vous y étiez ? Il suffit qu’il ait oublié de le noter et comme tous les autres ont copié sur lui… J’ai vu vos sources : Monica González et Gonzalo Vial s’en servent beaucoup, sans citer les pages. Vous voyez ces intellectuels : ils se copient tous. Réfléchir aujourd’hui n’est que faire du copier-coller-masquer intelligent. Soyez au-delà ! Faites du copier-coller-arranger, bon Dieu ! Osez ! Inventez, s’il le faut ! Faites chier avec vos scrupules, à la longue !

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