§3. (non). Merci à vous, chers lecteurs de ne pas avoir accepté ce chantage inacceptable de Juan. Merci de votre soutien. Vous êtes des Justes.

Je vais néanmoins devoir vous décevoir : ma décision de démissionner était déjà prise et je ne vais pas changer d’avis, malgré votre confiance. Je sens qu’il y a sur ma personne trop de désaccord, qu’en restant je ne ferais que polariser les pros et les contres et que cela nuirait au bon déroulement de l’histoire, si je puis m’exprimer ainsi, de ces quelques jours fatidiques. Je n’ai pas non plus l’étoffe pour m’opposer à l’éditeur qui m’a mis à cette place que je n’aurais pas dû usurper, et à qui il vient des velléités d’écriture. En me retirant, sans doute au profit d’un autre narrateur, de Juan ou de Jean, tous les problèmes ayant trait à ma personne seront, je l’espère, aplanis.

Je voudrais simplement vous demander, avant de partir, de ne pas juger trop sévèrement Jean. Même si finalement il n’aura fait que trahir en pensant être de bonne foi, à l’image de toute révolution, il n’a jamais été malhonnête. Moi non plus, lorsque j’ai réintroduit Natalia en 1. XVI §3, je pensais vraiment œuvrer pour elle en lui laissant la possibilité de s’expliquer et de renouer avec Jean un amour qui, bien que difficile, bien que fragile, parce que mère, parce que veuve d’un héros, parce que travailleuse sociale et militante de l’ombre en même temps dans des organisations où elle dut parfois accomplir de basses besognes – de celles qu’on accepte sans répugnance qu’au prix d’une foi inébranlable de la cause qu’on poursuit –, existait tout de même. Et donnait à l’un et à l’autre la chance qu’ils méritaient dans leur vie où la mort aura trop de place. J’étais loin d’imaginer que quelqu’un se servirait de l’intimité nouvelle et forte que j’avais retissée entre eux, pour que Jean ait assez de renseignements, ensuite, permettant à la DINA de la retrouver et de l’arrêter. Ceux qui ont décidé ça, n’étaient pas obligés de faire torturer cette femme admirable par des hommes infâmes, à Temuco. Ils pouvaient lui éviter d’être violée et brûlée à quelques kilomètres de son fils, puis que son cadavre soit déposé, brisé et méconnaissable, près du marché où elle aimait jouer enfant, mangée par les chiens après avoir été touchée par des porcs. Tant de cruauté et de mesquinerie m’écœurent. Que ceux qui ont imaginé ça et l’ont laissé publier en aient honte. Sans doute “Tanalia” aurait été prise tôt ou tard, qui avait courageusement choisi de se battre et de mourir dans son pays, l’arme à la main, comme Miguel Enríquez. Cette conséquence l’honore. Elle est de cette race d’êtres humains pour qui le sacrifice et le dévouement sont des notions sacrées qu’on n’oublie pas, qu’on ne laisse pas corrompre, qu’on n’abandonne pas aux autres en allant se cacher à Cuba ou en Argentine. Mais elle aurait pu mourir plus dignement. Peut-être aurait-elle pu participer à la tentative d’assassinat de Pinochet en 1986, peut-être ne l’aurait-elle pas raté, elle…

Concernant Juan, je n’ai pas de colère. Certes, nous avons eu des divergences, mais n’est-ce pas humain ? Vous aurez sans doute, vous, plus de raisons que moi de lui en vouloir, puisqu’il savait que j’allais démissionner et qu’il n’a jamais été question pour lui de demander à Partie et Liberté de me liquider. Mais ne le jugez pas non plus, comprenez son geste : il voulait vous impliquer, vous mettre un peu à la place de ces gens de chairs et d’os qui ont eu des choix difficiles à faire entre 1970 et 1973 au Chili, de quel côté qu’ils soient, et vous montrer aussi que ce n’était ni forcément incompréhensible ni agréable d’être du bon côté du fusil en ce périlleux septembre 1973. Il le paiera d’ailleurs lui-même de la perte de sa si chère bibliothèque et d’un exil en Australie, où là encore il ira fuir l’Histoire. Cette fichue Histoire qui s’entête à survivre à tout, malgré sa fin tant de fois annoncée.

Voilà. Moi, j’ai fait mon temps. J’ai essayé de vous servir du mieux que j’ai pu, j’ai été heureux de vous accompagner tout ce temps. Bonne continuation à vous, portez-vous bien, protégez-vous. Et merci encore d’avoir voulu me sauver !

Démissionner alors que ça devient critique, tout ça pour filer la patate chaude à un autre, tu n’étais qu’un lâche, narrateur. Il valait mieux que je te tue, tu partais plus grandi… Moi je reste jusqu’au bout. Cela dit, entre nous, faire diversion avec mes prouesses sexuelles un soir où il se passe des choses à raconter, parce que tu n’as pas d’informations, quelle pirouette !, c’était du grand art ! Quel escroc ! Bravo ! Tu vas quand même me manquer, narrateur…

Pour vous, lecteur, il aurait été préférable de ne pas lire ce fragment. Vous auriez pu rester dans le doute jusqu’au bout concernant Natalia, et partager la même méconnaissance des faits que Jean (drogué alors, il n’a aucun souvenir d’avoir parlé d’elle ; juste un doute) et Pablito, puisque le premier ne sachant rien, il ne pourra aider l’enfant. Vous, vous savez. Et comme vous n’avez pas les noms de famille, vous ne pourrez jamais leur dire. A quoi bon savoir, alors, quand vous pouviez imaginer qu’elle s’en sort, qu’elle a fui à Cuba, qu’importe… On pense ce qu’on veut lorsqu’on veutle penser. Vous avez voulu jouer les héros, payez-en le prix. [Juan ; précisons-le pour les défavorisés de la compréhension.]

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